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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/683

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Le maréchal Laudon, qui devait diriger les opérations militaires contre la Prusse, avait émis l’avis que, sans le concours de la Russie, l’armée autrichienne pouvait se trouver dans une position difficile. Kaunitz se voyait donc réduit à négocier tant qu’il n’aurait pas reçu de Pétersbourg une réponse décisive. A la note prussienne du 2 juin il répondit qu’il ne voyait point d’inconvénient à ce que la Prusse prît Thorn et Dantzig, mais que l’Autriche ne céderait rien en Galicie. Tout ce qu’elle pouvait faire, — et c’était sa dernière concession, — serait d’abandonner à la Pologne une partie de la Moravie. Le vice-chancelier, Philippe de Cobentze], avait eu d’ailleurs l’occasion de s’expliquer à ce sujet, quelques jours auparavant, avec l’ambassadeur de Prusse, Jacobi. « Que la Prusse, lui avait-il dit, prenne en main les intérêts de sa nouvelle pupille, la république de Pologne, cela se conçut; ce qui passe toute imagination, c’est que l’Autriche fasse les frais de la tutelle. Nous croyez-vous à ce point privés de raison que nous nous laissions persuader que ces conditions sont avantageuses pour nous ? Est-ce à des enfans que vous avez affaire, ou pensez-vous que l’Autriche soit tombée si bas? Deux campagnes nous ont-elles réduits à cette extrémité de consentir à tout ce qu’il vous plaira d’ordonner? La Prusse vent s’agrandir, soit! mais l’Autriche entend ne pas se diminuer : elle doit avoir, elle aura autant que la Prusse elle-même. »

Aux demandes inquiètes de l’Autriche la Russie fit une réponse favorable. Malgré la double guerre qu’elle avait à soutenir, au nord contre les Suédois, au sud contre les Turcs, elle se déclarait prête à mettre en ligue de quarante à cinquante bataillons d’infanterie et une centaine d’escadrons de cavalerie, soit environ soixante mille hommes, sans compter les troupes irrégulières. Il fut beaucoup plus difficile de s’entendre lorsqu’on en vint à régler les détails d’exécution Le plan de campagne proposé par la Russie ne plaisait pas à l’Autriche : l’objectif de la première était l’occupation de la Pologne, que peut-être elle espérait garder après la guerre, tandis que la seconde aurait voulu qu’on défendît la Galicie. Cependant on serait peut-être parvenu à s’accorder si la conduite du prince Potemkin n’avait inspiré à la cour de Vienne la plus légitime défiance. L’Autriche savait par expérience que les promesses de l’impératrice n’avaient de poids qu’autant que Potemkin était disposé à les tenir ; or la politique du prince n’était pas toujours celle de Catherine II, on l’avait bien vu dans la dernière guerre. Par malheur, Potemkin paraissait mal disposé pour l’Autriche; il avait même négligé de répondre à une lettre autographe que l’empereur Léopold lui avait adressée plusieurs mois auparavant. Sur cette impression, Kaunitz, de moins en moins certain du concours effectif de la Russie, se décida à traiter sérieusement avec la Prusse. Vers le milieu de juin, Spielman fut envoyé de Vienne à Reichenbach,