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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/713

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l’instant assez énigmatique, assez troublé, où s’agitent tant de passions et d’intérêts toujours prêts à s’entre-choquer, la France, pour sa part, a une position peu brillante, faite pour la préoccuper plus que pour flatter son vieil orgueil. Elle s’est créé, nous en convenons, des conditions assez difficiles qui, depuis quelque temps, n’ont fait que se compliquer et s’aggraver par l’incohérence ou l’imprévoyance de ses conseils, par la fausse direction de sa politique, par des entreprises décousues ou médiocrement conduites et quelquefois par des violences de partis qu’elle n’a su ni réprimer ni contenir. Il n’y a point à s’y tromper : la France, conduite par une diplomatie peu expérimentée, s’est créé un isolement à peu près complet qui semble se resserrer de plus en plus chaque jour.

D’un côté, elle a été engagée avec peu d’habileté dans ces affaires de l’extrême Orient, qui, d’un instant à l’autre, peuvent conduire à une guerre avec la Chine, et dont la première conséquence a été dans tous les cas un refroidissement temporaire, nous voulons le croire, assez sensible néanmoins dans nos rapports avec l’Angleterre. Guerre ouverte à l’autre extrémité du monde, sur les bords du Fleuve-Rouge, difficultés ou froissemens avec une vieille alliée occidentale, c’est là jusqu’ici le bilan d’une entreprise qui, mieux de continent même de l’Europe, la France se trouve visiblement dans la situation la plus épineuse, la plus délicate qu’elle ait peut-être jamais connue. Il faut voir les choses comme elles sont. La France est au moment présent entourée d’une sorte de cercle formé avec autant de dextérité que de puissance. M. de Bismarck a pu sans doute se proposer plusieurs objets à la fois et songer à se mettre en mesure de tenir tête à des dangers de diverse nature, en faisant de l’Allemagne le centre de tout un système d’alliances. Il reste toujours clair qu’une partie du système est conçue et combinée de façon à cerner la France. Le chancelier d’Allemagne ne s’est pas borné seulement à lier l’Autriche d’une manière permanente à sa politique ; depuis des années, il s’étudie, en habile homme, à tirer parti de tout. Il a su profiter de la mauvaise humeur et des méfiances de l’Italie comme il s’efforce aujourd’hui de profiter des souvenirs amers ou pénibles que le roi Alphonse XII a pu garder des incidens de son passage à Paris. Il se fait peut-être quelque illusion pour la nation espagnole elle-même, qui n’a ni sûreté ni avantages à chercher dans une alliance lointaine, et dont l’orgueil ne tarderait pas à se révolter si elle sentait la tutelle allemande. Le voyage que le prince Frédéric-Guillaume de Prusse fait en ce moment avec une certaine ostentation à Madrid reste, dans tous les cas, la manifestation visible d’une politique poursuivie avec une persévérante