Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nationale. Il y aurait un avantage incontestable à agir ainsi, malgré l’absence de réciprocité, car plus nous achetons à l’étranger, plus forte est la somme de produits nationaux que nous lui vendons; seulement il paierait ces derniers fort cher, grâce aux tarifs, tandis que, grâce à la liberté commerciale, nous paierions bon marché ce que nous lui achèterions. De ce que quelques-uns de nos voisins ne comprennent pas leurs intérêts, est-ce une raison pour que nous méconnaissions les nôtres? est-ce une raison pour que nous accablions nos industries sous les charges qu’ils imposent aux leurs? Il est étrange qu’un gouvernement libéral, démocratique, républicain ait presque renoncé à la liberté commerciale, que l’empire avait fondée. Depuis dix ans, si nous n’avons pas reculé, nous n’avons pas fait non plus le moindre pas en avant. Nous nous sommes laissé envahir par les idées protectionnistes, nous les avons adoptées, soutenues, propagées. Aujourd’hui, d’autres s’en servent contre nous. Si nous ne les répudions pas au plus vite, si, au contraire, nous les combinons maladroitement avec le socialisme d’état, nous atteindrons nos industries nationales dans leur essence même. Alors la politique coloniale sera évidemment pour nous la plus grande des duperies, car elle consistera à ouvrir des marchés que d’autres exploiteront. Elle créera des débouchés, et nous n’aurons que des produits insuffisans ou trop coûteux à y expédier. Elle travaillera pour nos rivaux, et nous dépenserons les ressources de la France en œuvres dont l’étranger seul profitera.


IV.

Ainsi notre politique intérieure et notre politique commerciale compromettent de la manière la plus grave les espérances d’expansion extérieure qui sont venues un instant consoler notre pays des malheurs et des pertes qu’il a subis. Mais toutes les fautes commises jusqu’à ce jour ne sont rien au prix de celle qu’on se prépare à commettre en modifiant nos lois militaires. Je ne crains pas de dire que, si les projets de réduction du service à trois ans et de suppression du volontariat d’un an sont votés par les chambres, la France devra renoncer à toute action au dehors, abandonner son commerce extérieur, se replier dans ses frontières et laisser à d’autres les vastes entreprises qui tentent son génie. Cette question est la plus grave qui puisse être traitée par un grand pays. Il s’agit, en effet, de savoir si la France restera à la tête de la civilisation, si elle continuera à tenir dans ses mains le flambeau des lettres, des sciences, des arts et de l’industrie, ou si elle se transformera en une nation de caporaux médiocres n’ayant aucun rayonnement au dehors.