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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/797

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LES LÉGENDES DE L’ALSACE.

où se réunissaient les tribus des diverses régions. On y traitait à certaines époques les affaires religieuses, politiques, militaires et judiciaires de la confédération. Ces lieux étaient Karnut (Chartres), au centre de la Gaule ; Karnac en Bretagne ; le massif d’Alaise dans le pays de Besançon ; et la montagne d’Ell (Bel ou Bélen), aujourd’hui le mont de Sainte-Odile[1]. Ce dernier dut être l’avant-garde de la Gaule en vue de la frontière germaine. Lorsque les druides venus de Bretagne avec les Kimris, s’emparèrent du gouvernement religieux et politique de la Gaule, ils apportèrent avec eux des dieux nouveaux et une doctrine secrète sur l’évolution de la vie, sur l’âme et sur la vie future. Cette doctrine, parente des mystères de Samothrace, se rattachait au culte des révolutions célestes. Eux seuls et leurs disciples en avaient le privilège. Quant aux peuples maintenus par la terreur sous leur autorité, ils étaient admis à la vénération des dieux supérieurs sans être initiés à leur nature. Rien de plus redoutable que l’inconnu. Ces dieux n’habitaient que les cimes ou les îles sauvages de l’océan. Or le mont de Bélen se prêtait admirablement à la mise en scène de ce culte. Les grandes fêtes avaient lieu au solstice d’hiver et au solstice d’été, quand l’astre vainqueur remontait vers le zénith ou lorsque, parvenu au plus haut du ciel, il s’arrêtait pour contempler son empire. Une grande quantité de Gaulois accourait alors du nord et de l’ouest et venait camper aux abords du mont sacré. Mais la foule n’était admise à l’ascension que la nuit. Les ovates ou eubages gardaient les chemins et guidaient les visiteurs avec des torches de résine. On s’engageait dans une des sombres vallées latérales. C’était la région pleine de terreurs des dieux du mal, des démons de la terre. Çà et là, dans un fourré, à la lueur des pins flambans, on voyait luire un couteau de sacrifice. Quelquefois le cri d’une victime feinte ou réelle perçait l’oreille et donnait le frisson. Mais, peu à peu, à travers les massifs de sapins, les bouquets de bouleaux, par les sentiers qui s’enroulaient autour de la montagne comme des bandelettes, on gagnait les régions supérieures. On parvenait enfin sur la lande de Ménel, éclairée par la lune, où les visiteurs se prosternaient devant Sirona, la Diane gauloise. Après toute sorte de rites solennels, vers l’aube, on approchait par le plateau du temple de Bélen. Mais il était interdit aux profanes de franchir sa triple enceinte sous peine de mort. Tout ce qu’ils pouvaient obtenir, c’était de voir le dieu lui-même, le soleil levant sortir de la Forêt-Noire et dorer de son premier rayon le temple circulaire aux sept colonnes, debout sur l’abîme.

La sainte terreur que les Gaulois avaient de leurs dieux garan-

  1. La partie de la montagne où se trouve le Plateau des fées s’appelle encore aujourd’hui l’Ellsberg (montagne d’Ell).