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en fer à cheval jusqu’au rocher qui forme saillie au nord. Une chose frappe l’attention sur tout ce parcours, c’est un vieux mur qui longe et contourne le plateau. Il est bâti en énormes blocs de grès vosgien grossièrement équarris, mais si larges et si bien campés qu’ils n’ont pas bougé depuis des siècles. Quelquefois on les a trouvés reliés entre eux par ces petites pièces de bois nommées queues d’aronde. Çà et là, les pierres s’encastrent dans le roc, s’appuient aux angles de la montagne, appelés chaires de Bélen par la mythographie celtique. Quelquefois le mur, suivant les accidens de terrain, est forcé de descendre dans une ravine, mais c’est pour regrimper sur la crête. Sur un espace de plus de deux lieues, il fait le tour du plateau. Autrefois, le peuple, frappé de cette puissante construction, l’attribuait au diable. De là son nom de mur païen. Ni les hommes ni les élémens n’ont pu le démolir. La foudre a eu beau tomber, le levier creuser les interstices ; les sapins, drus et serrés, se sont lancés par milliers à l’assaut contre lui ; il n’a pas bougé. Ils ont recouvert ses parois, fouillé ses entrailles de leurs racines ; mais les arbres se dessèchent et meurent ; le mur immuable est toujours là : il est resté le maître de la montagne qu’il couronne et durera autant qu’elle.

Quel que soit l’âge de ce mur prodigieux sur lequel s’est épuisée la sagacité des antiquaires[1], il est évident qu’il avait pour but la défense du plateau. D’autre part, les tumuli trouvés dans l’enceinte[2], les menhirs postés sur les flancs, les dolmens et les pierres de sacrifice qui parsèment la montagne et les vallées environnantes, les noms mêmes de certaines localités[3], tout prouve que la montagne fut dans les temps celtiques le siège d’un grand culte. Rapprochons maintenant les deux ordres de faits qui découlent de ces monumens et des traditions celtiques, aidons-nous de l’histoire et de la légende et tâchons de ressusciter les scènes dont ces pierres furent les témoins avant l’arrivée des Romains.

Il y eut dans la Gaule celtique quatre grands centres religieux

  1. Schœpflin, dans son Alsatia illustrata, considère faussement le mur comme une construction gallo-romaine. Schweighauser et Levrault lui donnent avec probabilité une origine celtique.
  2. M. Voulot a trouvé huit tombes dans l’enceinte du mur païen. Il les a décrites dans son livre : les Vosges avant l’histoire, Mulhouse, 1872. Les ossemens, haches, colliers et anneaux trouvés par lui dans ces tumuli sont actuellement au musée archéologique d’Épinal, dont M. Voulot est le conservateur.
  3. La Kirneck, ruisseau qui traverse la vallée de Barr, le Krax, montagne voisine, le Menelstein, l’Ellsberg sont des noms d’origine celtique. Truttenhausen, endroit situé au pied du mont Sainte-Odile, signifie maison des druides. C’était probablement la principale résidence du collège druidique qui avait la garde de la montagne et présidait à son culte. Plus tard, pour exorciser ce lieu, on y bâtit un couvent dont on voit encore les ruines.