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LES LÉGENDES DE L’ALSACE.

de feu, guerrier sublime, à la colère profonde[1] ! » — Et les sept vierges gardiennes du feu, symboles des sept planètes, vêtues de lin blanc et couronnées de feuilles de bouleau tournaient autour du temple en frappant leurs cymbales et en poussant des cris de joie sur l’abîme.

De tout cela que reste-t-il aujourd’hui ? Quelques pierres et le vieux mur impassible. La montagne des Gaulois, des Francs et des Français est retombée au pouvoir des Teutons. Elle porte çà et là des écriteaux allemands et c’est dans la langue de Teutobocchus qu’on nous montre le chemin des cromlechs, des dolmens du rocher des druides et du plateau des fées ! Et quand tout semble avoir oublié ce passé lointain, sauf les pierres, la légende à la mémoire tenace se souvient encore. Elle parle d’armées entières aux cuirasses de feu qui se combattent la nuit sur les landes, de fées qui dansent au clair de lune entre les bouleaux. Une superstition singulière est restée attachée à la chapelle qui s’élève sur l’emplacement du temple de Bélen. Les jeunes filles qui veulent se marier dans l’année en font trois fois le tour. Qui sait ? C’est peut-être un souvenir de l’ancien culte solaire et des vierges gardiennes du feu.

II.

The dream is changed, comme dit Byron. Pour les peuples comme pour les individus, la vie est un rêve dont les tableaux se succèdent et s’effacent, dont le temps n’est qu’une vaine mesure. — Nous sommes à l’époque des Mérovingiens. Sept siècles ont passé sur l’Alsace. Après les Romains, les barbares se sont succédé. Attila a rasé l’enceinte primitive de Strasbourg. Les Francs enfin ont pacifié le pays. Çà et là apparaissent les premières traces de la civilisation. Dans les forêts encore pleines de bêtes fauves, des commencemens de villes et de villages se groupent autour des castels romains et des fermes où se sont installés les chefs francs avec leur truste qui comprend toute une armée de vassaux. Après tant d’horribles invasions, les faibles se serrent autour des forts, les paysans autour des guerriers. Le serf est trop heureux d’avoir un maître qui empêche son champ d’être brûlé. La féodalité, à son origine, est une protection. Quant aux rois mérovingiens qui ont conquis la Gaule, après un siècle de débauches effrénées et de cruautés sans nombre, ils sont tombés dans la mollesse. Le royaume est en train de se démembrer. Bientôt les maires du palais, s’empa-

  1. Chant d’Avaon, fils de Taliésin, barde gallois. (Mywirian.)