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font en secret ! » L’étonnement, l’indignation jouée du chevalier rouge, et ce baiser mystique entrevu de loin dans la pénombre de l’église, suffirent pour jeter dans l’esprit du roi les soupçons les plus noirs. Depuis longtemps il haïssait la reine, qui lui imposait sa volonté avec une douceur fière. Il n’eut pas de peine à la croire coupable d’une passion audacieuse et des derniers débordemens.

Charles, transporté de fureur, fit appeler Luitgard, l’accabla d’injures et le chassa ignominieusement sans lui permettre de se justifier ; puis, faisant comparaître sa femme devant son tribunal, il l’accusa publiquement d’adultère. Richardis, indignée, mais calme, offrit de prouver son innocence par l’épreuve du feu. Charles accepta le défi et fixa le jour. — Scène étrange et solennelle. — Une immense assemblée est réunie sur la place publique. Le roi siège sur son tribunal, entouré des plus grands seigneurs francs et des hauts dignitaires de l’église. Richardis paraît en reine splendide, étincelante de pierreries, dans un long manteau de pourpre, couronne en tête. Elle s’avance vers le roi et lui offre ses gants. Il les saisit ; c’est le signe qu’il persiste dans l’accusation. Alors Richardis s’éloigne et reparaît dans une tunique de soie blanche cirée, serrant sa croix sur son cœur. Des moines chantent l’office des trépassés. La reine est d’une pâleur mortelle, mais la flamme de l’extase brille dans ses yeux élargis et fixes. Quatre valets, avec des torches allumées, essaient de mettre le feu aux quatre coins de sa robe. La flamme n’y mord pas, et les valets reculent d’effroi. Alors on étend devant elle une traînée de braise incandescente. Elle marche dessus, pieds nus, et les charbons ardens s’éteignent sous ses pas. À ce prodige, la foule pousse une immense acclamation, et les accusateurs, consternés, s’enfuient. Mais Richardis, d’une voix forte, adresse à son époux ces paroles mémorables : « Roi Charles, je vous ai prouvé mon innocence en passant par le feu. Par vous j’ai voulu sauver le royaume, mais il n’est plus rien de commun entre nous. Désormais j’appartiens à celui dont la beauté étonne le soleil et les étoiles et qui reconnaîtra ma fidélité mieux que vous. Adieu ; vous ne me reverrez plus. Que Dieu vous pardonne comme je pardonne à mes accusateurs ! d’Après quoi Richardis se retira dans son pays natal et y fonda l’abbaye d’Andlau. Charles, peu après, fut déposé par les Francs et mourut dans l’exil et la misère.

Telle la tradition de l’abbaye. Il est curieux de voir ce que l’imagination populaire a ajouté à la légende ecclésiastique. Richardis, accusée d’adultère par son époux, disent les chroniqueurs qui ont suivi cette variante, s’en remit au combat singulier, qui était une autre forme du jugement de Dieu dans les idées du moyen âge. Un seigneur franc se présenta comme champion de la reine, lutta en champ clos contre le calomniateur et le terrassa. Sortie blanche