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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/812

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fois embrassé. Voilà pourquoi l’ombre charmante et fière qu’un coup de ciseau a fait sortir de la pierre ne mourra point. Elle s’est promenée dans toutes les imaginations et sa statue s’élève maintenant devant le portail du sud. N’essayez pas de nous persuader que la colonne des anges n’est pas de la fille d’Ervin. Bien des filles d’Alsace se sont reconnues dans Sabine qui a travaillé et qui a cru sans laisser faillir son espérance. Elle vit et vivra autant que le dôme.

Il est temps de jeter un regard sur la vieille cité qui se serre autour de la cathédrale et de rappeler les épisodes les plus caractéristiques de son histoire. On sait que Strasbourg fut dès les temps reculés une des villes libres les plus puissantes et les plus jalouses de sa liberté. La charte de commune de l’an 980 porte en tête ces mots : « Argentine a été fondée dans cette vue d’honneur que tout homme, tant étranger qu’indigène, y trouve la paix en tout temps et contre tous. » Ce principe d’indépendance est resté à travers les siècles l’esprit même de la cité. Mais, pour le maintenir, il fallut plus d’une guerre avec les princes d’Allemagne et de Bourgogne, avec les seigneurs et principicules d’Alsace, qui, du fond de leurs repaires des Vosges, jalousaient sa prospérité. La plus éclatante de ces victoires est celle que Strasbourg remporta en 1262 contre le seigneur de Geroldseck et qui marque la plénitude de son affranchissement municipal. Jusqu’alors la ville avait vécu sous la protection de ses évêques, cherchant dans leur caractère religieux un gage de douceur et d’équité. Il se trouva qu’un jour l’évêque fut un hobereau de race, et la lutte s’engagea.

Walter de Geroldseck était un jeune seigneur hautain et despote, d’un orgueil sans frein. À peine sacré par l’archevêque de Mayence, il fit son entrée triomphale dans la ville. Ce n’était plus un évêque prenant possession de son diocèse, mais un souverain entrant dans sa capitale. Devant lui marchaient des hérauts d’armes qui portaient sur leur poitrine les armes de Geroldseck écartelées de celles de la ville, ce qui blessa au vif les habitans. Puis s’avançait l’évêque sur un magnifique cheval blanc, laissant voir son armure de chevalier sous le long manteau épiscopal. Derrière lui chevauchait toute la noblesse d’Alsace, chaque seigneur ayant derrière lui un écuyer et un page portant son pennon. Depuis Charlemagne, on n’avait vu pareille pompe. Installé à l’hôtel de ville, Walter voulut établir de nouveaux droits de péage et frapper les bourgeois d’impôts. Les magistrats lui représentèrent vainement que cela était contraire aux us et coutumes de Strasbourg. Il menaça la ville de l’interdit. Quand les magistrats transmirent cette nouvelle au peuple en assemblée publique, un seul cri s’éleva : « À l’arsenal ! » Les bourgeois prennent les armes, les corporations se forment en milices, les femmes son-