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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/823

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LES LÉGENDES DE L’ALSACE.

la France et terrifia le monde ; l’histoire n’a pas encore effacé de sa pierre le point d’interrogation de Manzoni : Fu vera gloria ? Ai posteri l’ardua sentenzia. Les quatre héros auxquels nous ramène la légende de l’Alsace n’eurent point le génie universel, souverain du vainqueur d’Austerlitz et d’Iéna ; ils possédèrent en revanche des qualités qui furent toujours étrangères au despote : l’abnégation, la candeur superbe des âmes pures, une sorte de foi primordiale et naïve en la patrie, en un mot, l’enthousiasme.

Hoche, qui eut la gloire de reprendre les lignes de Wissembourg et de sauver l’Alsace en 1793, est le type du brillant capitaine, du soldat généreux. Sorti du peuple, nature active, infatigable, il dut faire lui-même son éducation. Il devina la grande guerre avant Napoléon et la mit en pratique. Avec cela, il eut le beau don de l’ardeur, de l’expansion. Nul mieux que lui ne savait communiquer le souffle, électriser les troupes. Il remonta des armées complètement désorganisées et les rendit capables de vaincre. À Frœschwiller, — car, chose triste à répéter, c’est là même où nous fûmes battus en 1870, que nous étions restés les maîtres en 1793, — il mit les canons autrichiens aux enchères et les offrit 150 livres pièce à ses soldats. « Adjugés ! » répondirent les grenadiers ; et les canons furent enlevés à la baïonnette. Quand Hoche parut en Alsace ce fut un éblouissement. « J’ai vu le nouveau général, écrit un officier, son regard est celui de l’aigle, fier et vaste ; il est fort comme le peuple, jeune comme la révolution. » On peut dire que les succès de Hoche viennent d’une grandeur et d’une égalité d’âme qui se soutiennent dans toutes les circonstances. Son langage a parfois la vulgarité soldatesque et l’emphase du temps. Mais il est impossible de découvrir en lui un sentiment qui ne soit pas noble et parfaitement élevé. Il ne sut ni haïr ses ennemis, ni envier ses rivaux. Il dédaigna de se venger de Saint-Just, qui avait voulu le perdre ; il salua Bonaparte avec enthousiasme, à cette première campagne d’Italie qui frappa le monde d’admiration, et l’appela : frère d’armes. Peu avant sa mort, à Wetzlar, il devina l’ambition du vainqueur d’Arcole et laissa échapper ce mot : « S’il veut se faire despote, il faudra qu’il me passe sur le corps. » Comme on rappelait ce mot à Napoléon, à Sainte-Hélène, il répondit : « Il se serait soumis, ou je l’aurais brisé. » — Le dominateur de l’Europe eût brisé cette épée, peut-être, mais cette âme, non. Et peut-être que l’esprit modéré de Hoche eût su conserver cette rive gauche du Rhin que le génie effréné de Napoléon perdit après avoir tenu le monde sous sa main.

Parmi les lieutenans qui combattirent sous Hoche à Landau, se trouvait Desaix. Le gentilhomme de l’Auvergne eut les vertus austères du passé ; son courage était silencieux. Au temps des croi-