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de nous appauvrir graduellement au profit de nos voisins. Pour éloigner ce danger, une foule de particuliers et d’associations ont fait, sans rien demander à l’état, sans la moindre protection officielle, d’énormes sacrifices. Un certain nombre d’écoles de hautes études commerciales se sont fondées à Paris et en province; chaque jour on en voit naître de nouvelles ; bientôt, si on ne leur enlève pas leurs élèves, il n’y en aura pas moins en France qu’en Allemagne. Grâce à celles que nous possédons déjà, nous étions bien près d’avoir reconquis le terrain perdu. Mais les lois militaires et le service obligatoire de trois ans vont détruire tout ce qui s’est fait pour la culture commerciale aussi bien que pour la culture scientifique. Comment et où se recruteront, en effet, lorsqu’il sévira sur tout le monde, les élèves de commerce? C’est dans les années fécondes de 17 à 20, à 22, ou 23 ans que l’esprit déjà ouvert peut s’initier à toutes les connaissances théoriques et se préparer à l’existence active : plus tard, il est trop tard. La préparation manquant, toute la vie s’en ressent, et non pas seulement la vie individuelle, mais la vie nationale. Le service obligatoire de trois ans aura pour conséquence de faire retomber le commerce et l’industrie de notre pays entre les mains d’Allemands et de Suisses ; car, sous ce rapport encore, l’Allemagne est bien loin d’imiter l’esprit de logique et d’égalité à outrance qui nous anime. Les jeunes gens sortis de ses écoles commerciales qui servent à l’étranger, obtiennent toutes les facilités, toutes les dispenses nécessaires pour que les exigences militaires ne les entravent en rien. J’en ai vu de nombreux exemples en Orient, et plusieurs chambres de commerce, qui se sont occupées de cette question, affirment qu’elles en ont constaté partout.

Les études commerciales sont incomplètes sans un long séjour à l’étranger. C’est pourquoi les associations qui se sont formées en vue de favoriser notre commerce d’exportation ont organisé des souscriptions destinées à envoyer chaque année, sur différens points du globe, un certain nombre de jeunes Français sortant des écoles de commerce et munis de leur diplôme. La chambre syndicale du commerce d’exportation à Paris a pris l’initiative de cette mesure. « nous nous trouvons amenés, dit le rapport qu’elle a rédigé à ce sujet, à faire une comparaison entre les différentes nations et nous croyons pouvoir affirmer, sans craindre d’être démentis, que notre pays, eu égard à sa population, est peut-être celui qui fournit le moins de sujets à l’étranger, surtout si nous le comparons à l’Angleterre, à l’Allemagne, à l’Italie et à la Suisse. On nous objectera sans doute que cette répugnance à s’expatrier, remarquée chez nos compatriotes, vient de ce qu’ils trouvent en France plus de bien-être relatif; mais ne pourrait-on pas aussi Ajouter que le Français est souvent retenu par la crainte de l’inconnu