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et par le souci, bien naturel du reste, d’arriver en pays étranger sans ressources suffisantes pour parer aux éventualités matérielles? Ces préoccupations disparaîtraient si l’on pouvait mettre à la disposition des jeunes gens que l’on dirigerait sur les différens points du globe des ressources qui, tout en étant modestes, leur permettraient cependant de n’avoir à l’arrivée aucun souci de la vie matérielle et leur laisseraient l’esprit libre pour mettre tout en œuvre afin d’arriver au but qu’ils se proposeraient d’atteindre ? En outre, ces jeunes gens partiraient munis de lettres d’introduction auprès des représentans de la France, et de recommandations pressantes pour les chefs des principales maisons établies, ce qui leur assurerait à leur arrivée, en même temps qu’un excellent accueil, un appui réel. » Toutes ces dispositions sont merveilleusement prises ; dictées par le bon sens, elles seraient d’une utilité pratique incontestable. Mais, encore une fois, à quoi serviront-elles si les jeunes gens, au moment où ils pourraient aller au loin décupler la fortune de la France, sont retenus trois ans sous les drapeaux?

Déjà certaines dispositions de la loi militaire actuelle produisent sur notre commerce extérieur des effets désastreux : ainsi l’article 61 de la loi du 27 juillet 1872 oblige tous les Français qui se trouvent à l’étranger, fussent-ils aux antipodes, à rejoindre leur corps d’armée six mois après le dépôt de l’ordre de route à leur domicile métropolitain. Les chambres de commerce et quelques conseils généraux ont vainement demandé une exception pour les jeunes gens qui vont s’établir hors d’Europe. Le gouvernement a préféré amnistier ceux qui n’étaient pas en règle avec la loi. C’est ce qu’il a fait, par exemple, pour un grand nombre d’habitans des Basses-Pyrénées, auxquels il avait été impossible de quitter La Plata pour obéir à l’appel de la loi. Je ne résiste pas au désir de citer les réflexions très sages que ce sujet a inspirées à la chambre de commerce de Bordeaux : « Nous vous prions, dit-elle dans une lettre au ministre de l’agriculture et du commerce, d’introduire dans le projet de modification de la loi militaire une disposition en vertu de laquelle les jeunes Français désireux de se rendre dans une colonie entre seize et dix-sept ans obtiendraient des autorités compétentes un permis de séjour hors d’Europe sans obligation de retour dans la mère patrie à époque déterminée. Cela se pratique ainsi en Suisse et en Allemagne dans une certaine mesure... Serait-il à craindre que le nombre des jeunes Français désireux de s’expatrier chaque année devint trop considérable? Nous ne craignons pas d’affirmer que, plus il serait grand, plus ce serait avantageux pour notre pays. Il en résulterait en premier lieu une extension certaine de notre commerce maritime, et en plus un avantage moral considérable au point de vue de l’accroissement de notre population sédentaire.