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bénéfice du tir en qualité et, pour cela, qu’on développât au plus haut degré la valeur balistique de l’arme, tandis qu’ailleurs, et notamment en France, on la négligeait quelque peu.

Est-il, en effet, bien utile de confier une arme de précision à des hommes plus ou moins soigneux, surtout pour le service de guerre? Est-il utile pour le tir en quantité qu’elle soit excellente? A un travail grossier convient un outil grossier : on rirait de voir peser une livre de beurre dans une balance de laboratoire donnant le milligramme. Mais qu’on s’entende : en parlant d’armes de précision, il ne s’agit pas des carabines perfectionnées qu’on trouve dans certaines vitrines d’armuriers et qui sont munies de tout un attirail de lorgnons, de guidons à tunnel, de niveau d’eau, de doubles détentes, etc. il est clair qu’on ne peut demander qu’une perfection relative à une arme de guerre ; des appareils délicats et d’un entretien difficile ne peuvent être mis qu’entre des mains exercées. Autrefois, en France, et encore aujourd’hui dans certains pays (Allemagne, Suisse, Belgique), on a donné à une troupe spéciale, aux chasseurs, des carabines plus sensibles que les fusils ordinaires du reste de l’infanterie. Cette sensibilité est telle qu’un peu trop de graisse, que l’introduction d’un grain de poussière enraie ou dérange le fonctionnement ou le réglage de l’appareil, et il faut le remettre au point à l’aide de vis de rappel. Aussi beaucoup d’officiers n’admettent-ils pas que même une élite en soit pourvue.

L’arme de guerre de précision est celle qu’on aurait si on avait heureusement calculé et combiné tous les élémens balistiques des armes actuellement en service. Un fusil Gras dont la poudre serait moins vive, la chambre mieux disposée, le calibre plus faible, aurait le degré de perfection requis : il n’exigerait de la part du soldat aucun soin de plus et son prix de revient ne serait pas plus élevé : il n’en coûte pas plus pour bien faire une cartouche rationnelle que pour bien faire une cartouche vicieuse. Le fusil Martini-Henry est une arme de guerre de précision, malgré son fort calibre, parce qu’il a été étudié dans toutes ses parties. En France, les études, qu’on poursuit fiévreusement aujourd’hui, n’ont été entreprises que depuis peu d’années, lorsqu’on a reconnu qu’il aurait été facile de doubler la puissance balistique du gras par une meilleure disposition de ses parties et par une plus judicieuse détermination des élémens de sa cartouche. On a bien essayé d’y remédier après coup, mais il était trop tard : quand un habit a été fait pour une personne et qu’il sert à une autre, toutes les retouches du monde ne feront pas qu’il aille.

Peut-être, à la vérité, pourrait-on se proposer de fabriquer, non plus une arme de précision pour l’élite, mais, au contraire, le fusil le plus grossier possible pour la masse des troupes, en renversant