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dans le fusil, quel est celui qui a le plus d’importance? Faut-il préférer l’un à l’autre? Faut-il essayer de les porter tous deux à la fois au maximum réalisable? Et quels moyens y employer?

Ici un nouvel élément intervient : la puissance budgétaire du pays. La question d’argent est de celles qui se retrouvent partout, et, si elle n’a pas pris sa place dans la discussion de principes, la voici qui fait son apparition au moment où il s’agit de se décider pour une solution applicable dans la pratique. On dit bien que la France est assez riche pour payer sa gloire, mais elle préfère souvent le moyen le plus économique au moyen le plus parfait, et elle n’a pas tort.

C’est pourquoi nous n’hésiterons pas à affirmer que toute modification vraiment coûteuse de l’armement, que toute transformation importante sera mauvaise si elle ne fait qu’accélérer le tir, par exemple, sans améliorer les qualités balistiques. Ce n’est pas à cette conclusion, il faut bien le dire, que pousse l’engouement public en faveur des systèmes à répétition. La vitesse de chargement séduit exclusivement les gens qui ne sont pas du métier, et, parmi ceux qui en sont, il s’en trouve peu pour réclamer contre cet exclusivisme. Le courant est tel que le ministre de la guerre s’y est laissé entraîner, et qu’en mettant à l’étude des mécanismes à répétition, il a spécifié qu’on conserverait les principales parties du fusil Gras, les mêmes qui provenaient des Chassepot. On aurait une fois de plus changé le manche du couteau sans toucher à sa lame.

Le comité de l’artillerie a fait entendre de sages remontrances ; il a protesté d’une façon discrète, mais énergique. « On ne doit pas, dans la recherche d’une arme à tir rapide, a-t-il insinué, se restreindre à expérimenter seulement une transformation du fusil modèle 1874. Il peut se faire que, dans les essais futurs de la commission de tir de Versailles, on se trouve en présence d’une arme à répétition donnant des résultats supérieurs à ceux que l’on a obtenus jusqu’à présent, mais qui ne se prêterait pas à une transformation de notre fusil actuel. Dans ce cas, il semble qu’on ne devra pas hésiter, » Autant dire nettement et crûment que l’adaptation d’un système à répétition à notre fusil actuel est inadmissible. Car elle exigerait qu’on jetât l’ancienne culasse à la ferraille et l’ancienne monture au feu : on ne conserverait donc que la crosse, par exemple, et le canon, qui est déjà la partie défectueuse à cause de son calibre trop fort pour une arme tirant coup par coup; que serait-ce donc pour un fusil à répétition? Ainsi on est assuré que la transformation coûterait cher et qu’elle ne donnerait que demi-satisfaction aux exigences qu’on est en droit de formuler.

Faut-il mettre hardiment au rebut les quelques millions de fusils qui sont dans nos arsenaux et les centaines de millions de cartouches