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saurait évaluer à moins de 50 millions. C’est assurément inadmissible. On ne peut consentir à de tels sacrifices que dans des circonstances extrêmement rares : quand une découverte inattendue bouleverse absolument l’état des choses, comme le fit en son temps l’invention de la poudre; quand, à la suite de défaites, ou plutôt d’un anéantissement complet, une nation peut se recueillir et qu’il lui faut créer un matériel complet pour remplacer celui qu’elle a perdu ou dont elle n’a pu faire bon usage : tel fut le cas de l’Autriche après Sadowa ou de la France en 1871 ; quand on dispose d’une forte contribution de guerre comme celle qui a été prélevée sur nous par nos vainqueurs. Il est encore un cas où une nation peut songer à refondre son armement, c’est celui où, préoccupée des progrès faits par les puissances voisines ou rivales, elle cherche à les imiter en tout. Il est venu à la connaissance de certains journalistes que la garde impériale expérimente des armes à répétition à Spandau. Ce n’est qu’un cri : Ne nous laissons devancer par personne. Une violente pression est exercée par l’opinion publique : le parlement relance le ministère et réclame de lui la mise à l’étude d’armes à tir rapide.

Ce que la presse a fait, la presse peut le de faire. Elle peut dire au public qu’il n’y a pas péril en la demeure et le rassurer sur la valeur de son armement. Elle doit même le faire, car il importe de ne pas ébranler chez le citoyen et, par conséquent, chez le soldat, la confiance dans son arme, confiance qui, disait le grand Frédéric, « fait une partie de sa bravoure. » Elle doit proclamer que l’armement n’a pas la valeur intrinsèque, à proprement parler : qu’il n’y a pas de bons outils, mais qu’on peut appeler bous ceux qui conviennent le mieux aux meilleurs ouvriers. On a démontré en toute rigueur que, si le Dreyse valait mieux que le fusil autrichien, le Chassepot valait encore beaucoup mieux que le Dreyse. « L’infériorité de l’infanterie prussienne, par rapport à l’infanterie française, est plus grande que celle qui existait à Sadowa entre l’infanterie autrichienne et l’infanterie prussienne. » Telle est l’affirmation que proclamait hautement la commission militaire de l’exposition universelle de 1867, et on sait quel foudroyant démenti a été infligé à ces pronostics optimistes.

Peut-être peut-on regretter que la France n’ait pas adopté en 1874 une arme à répétition de petit calibre. Mais il faut bien dire qu’à ce moment personne n’y a songé. Ce qui est fait est fait, et ce serait peine inutile que de le refaire à grands frais. Tout au plus peut-on chercher à y apporter quelques palliatifs à bon compte. On en propose de deux sortes qui satisfont plus ou moins à cette condition.