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le drame romantique, ils sont bien de leur pays et de leur époque; sans cette ressource du tumulte qu’avait l’auteur de la Haine, choisissant un temps de guerre, pour donner l’illusion de la vie, M. Coppée a cette gloire de rappeler ici l’auteur de Lorenzaccio.

Par un contraste heureux, après cette galerie de scènes qui se développent au plein soleil de la place publique, après ce premier acte éclatant et varié, le second acte est ramassé dans un triptyque d’intérieur, composé simplement et d’un coloris sévère. C’est dans une salle du palais Torelli. Gian-Battista cause avec sa femme, donna Pia; par ce tendre et grave entretien, nous devinons quelle a été la vie des deux époux : lui, plus âgé qu’elle de bien des années, la remercie d’avoir été, depuis le jour de sa terrible aventure, la consolation de ses douleurs et l’intime parfum de sa retraite; elle, avec une humilité où l’on soupçonne quelque humiliation secrète, lui rappelle qu’il l’épousa, simple contadine, quand il pouvait se faire un jouet de sa beauté : — « Ah ! reprend-il, si tu me devais quelque chose, tu t’es bien acquittée en me donnant notre fils! » Notre fils! Elle répète ces deux mots tout bas et frémit. Il rentre justement, ce bien-aimé Severo : elle le laisse avec son père. Aussitôt le jeune homme annonce au vieillard la résolution qu’il a prise, son serment, le meurtre prochain, la liberté presque présente. Gian Battista reçoit ces nouvelles sans lâche émoi; n’a-t-il pas de tout temps, et dès avant qu’il naquit, voué l’enfant à cette œuvre juste? — Mais, lui dit-il, ta mère a droit à cette confidence et, pour le péril que tu vas courir,


Ma bénédiction ne vaut pas son baiser !


Donna Pia reparaît. Aux premières paroles de Severo, elle jette un grand cri : « Ah! jamais!.. Pas cela! « Gian-Battista, sans s’étonner, la reprend doucement de cette faiblesse; pour décider son assentiment, Severo lui déclare qu’il a juré sur l’hostie. Son horreur redouble ; elle supplie le vieillard de la laisser seule avec son fils; il y consent et s’éloigne pour que l’enfant, par ses caresses, puisse charmer en paix la terreur de la mère.

Alors, dans un récit dont la décence tragique est admirable, donna Pia découvre à Severo la vérité. La grâce de Gian-Battista, jadis, fut achetée par elle d’un prix infâme : elle subit, pour sauver son mari, le caprice du tyran, et Severo est né de ce caprice. Pendant cette confession, le jeune homme demeure confondu. Il éclate ensuite en un discours étincelant de beautés dramatiques et lyriques. C’est que son désespoir comme son malheur va d’un seul coup jusqu’à l’extrême. Non-seulement il n’est plus le fils de Torelli, mais il est le fils de Spinola : — Ah! s’écrie-t-il,


mon sang me dégoûte et mon corps me fait home !