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Il serait donc très logique et très sage de confier les colonies au ministère des affaires étrangères. On créerait, pour appuyer le ministre de ses avis et de son autorité, un grand conseil colonial, une sorte de junte permanente, dont il faudrait avoir grand soin d’écarter les députés et sénateurs[1], et qui se composerait d’administrateurs, d’anciens gouverneurs, d’anciens consuls, de négocians, d’armateurs, en un mot d’hommes compétens, capables d’échapper aux influences parlementaires. Comme les ministères passent chez nous avec une effroyable rapidité, c’est dans ce conseil que se perpétueraient les traditions. Il y aurait là un élément de stabilité indispensable au succès de l’œuvre coloniale, car cette œuvre ne peut avancer au milieu des fluctuations politiques qui soulèvent sans cesse chez nous le sol gouvernemental, comme les ouragans des Antilles labourent la terre de ces îles admirables et y bouleversèrent les plus luxuriantes végétations. Qu’on ne s’y trompe pourtant point ! cette garantie serait bien illusoire si nous continuions à nous agiter comme nous le faisons depuis quelques années, renversant le lendemain ce qui a été élevé la veille, inventant chaque jour des questions factices qui troublent l’atmosphère. Ce mouvement perpétuel sur nous-même amènera, s’il dure, la mort de notre pays. C’est pourquoi, il serait bon de chercher au plus vite un dérivatif à un état moral aussi funeste. Ce dérivatif, peut-être l’action coloniale nous l’offrirait-elle si, las de parler sans cesse de réformes radicales au dedans, alors qu’il n’y a presque plus rien à réformer et qu’on ne saurait plus que détruire, notre pays prenait l’habitude de regarder au dehors, d’y chercher l’emploi de son activité débordante, d’y dépenser en œuvres fécondes le trop plein de vie qui l’étouffé. Qui sait? peut-être, verrions-nous enfin cesser le malaise dont nous souffrons en ce moment. La force du radicalisme provient de ce qu’il semble être une action, tandis que le programme conservateur a l’air d’être purement passif. A l’action dissolvante du radicalisme opposons l’action fécondante de la politique coloniale ; il n’est point impossible que nous y trouvions le salut !

C’est par cette espérance que je veux finir. Si le temps et l’espace ne me faisaient défaut, je pourrais prouver que la politique coloniale est la meilleure des politiques intérieures, aussi bien que la

  1. Le nouveau sous-secrétaire d’état à la marine, chargé spécialement du service des colonies, M. Faure, vient de créer un conseil colonial. Son premier soin a été d’y introduire les sénateurs et députés des colonies ! Pourquoi ? Du moment que nos colonies ont des représentans dans les chambres, il n’y a aucune raison pour que ces représentans siègent encore dans un conseil colonial. Leur donner ainsi une autorité administrative est une véritable confusion de pouvoirs. Mais on n’y regarde pas de si près aujourd’hui. Tout se fait dans un intérêt parlementaire, et l’intérêt du pays est oublié.