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meilleure des politiques extérieures. Elle a le grand avantage de faire ressortir avec une évidence éclatante l’imprudence et la folie de certaines des mesures pour lesquelles on se passionne le plus dans les rangs des partis avancés et que l’on accepte avec le plus de résignation dans les rangs des partis modérés. Peut-être les hommes qui se sont lancés avec tant d’ardeur dans la lutte religieuse auraient-ils hésité à troubler la liberté des consciences en France s’ils s’étaient rendu compte qu’en agissant ainsi, ils brisaient dans le monde entier le plus ancien, le plus efficace de nos moyens d’influence. Peut-être ceux qui, pour satisfaire je ne sais quel mirage d’égalité, vont faire de notre régime militaire un mécanisme de compression à outrance qui étouffera la patrie, reculeraient-ils devant leur œuvre s’ils comprenaient qu’elle risque de la ruiner aussi bien que de l’abaisser. « Il faut nous départir, a dit M. Paul-Leroy Beaulieu, de notre culte étroit et vraiment sauvage pour l’égalité. Il faut admettre qu’il y a des équivalences de services, que celui qui ouvre ou qui maintient des débouchés à son pays le sert plus efficacement que s’il portait et maniait dans nos casernes un fusil pendant trois ou cinq ans, puis pendant vingt-huit jours, et ensuite durant quatorze jours. Ce n’est pas avec de mesquines idées de caporal que, dans le monde moderne où les compétitions sont si ardentes, on forme une grande nation. Deux de nos rivales, par des circonstances que nous envions, les États-Unis et l’Angleterre, n’ont pas de service militaire obligatoire, ce qui leur vaut une prodigieuse avance dans l’exploitation intelligente de l’univers; un autre de nos concurrens, notre vainqueur d’hier, avec un merveilleux discernement, sait plier sa rigoureuse loi militaire aux exigences de son expansion commerciale à l’extérieur. Chez nous, au contraire, la folie semble s’être emparée de tous les cerveaux. On propose, avec une niaiserie barbare, de supprimer, sans la remplacer, cette dernière sauvegarde du volontariat d’un an. On veut donner à la France une indigestion d’égalité : elle en mourra. » Ces termes ne sont pas trop forts. Si, avant de résoudre chaque question intérieure, on se demandait quelle influence sa solution exercera sur nos intérêts et notre situation au dehors, peut-être éviterait-on cette « niaiserie barbare » qui conduit peu à peu notre pays à la mort. Il n’est rien de tel que de jeter parfois les regards sur le monde pour juger sainement ce qui se passe chez soi. On saisit alors les vraies proportions des choses et l’on acquiert un sentiment plus juste de la réalité. Les haines et les misères de clocher ne cachent plus alors la France comme l’arbre cache la forêt. Le salut de notre pays, je le répète, est dans la politique coloniale.


GABRIEL CHARMES.