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sur ce qui se passait réellement au Tonkin, sur l’état de nos relations avec la Chine qu’on voyait vaguement s’aggraver. Quand le gouvernement a été interrogé, il a toujours répondu d’une manière évasive ou insuffisante ; quand on lui a réclamé des documens, il les a mesurés avec une méticuleuse parcimonie. Lorsque le ministère a lui-même demandé des crédits, il a prolongé l’équivoque en réduisant les crédits à des proportions, à un chiffre dont l’insuffisance sautait aux yeux. Lorsqu’il a touché à nos rapports avec la Chine, il a parlé de façon à laisser croire alternativement, — tantôt que la Chine était une « quantité négligeable, » qu’il n’y avait pas à s’occuper des Chinois, — tantôt qu’on pouvait bien, d’un instant à l’autre, se trouver en guerre avec le Céleste-Empire. Bref, on a éludé, on a équivoque, on s’est abusé et l’on a abusé l’opinion tant qu’on a pu, comptant un peu sur l’imprévu pour se tirer d’embarras. Le jour est venu cependant où il n’y a plus eu moyen de reculer devant des explications plus décisives, parce que les événemens devenaient trop pressans, parce que, de toute façon, il y avait un parti à prendre, parce qu’enfin une commission parlementaire, nommée pour examiner une nouvelle demande de crédits, a tenu à voir plus clair dans une entreprise où sont engagés les plus sérieux intérêts de la France. Il a fallu s’exécuter ; on a vidé les portefeuilles, et c’est à la lumière de ces documens livrés avec une sorte de profusion que s’est ouverte cette discussion qui a occupé quelques jours de la semaine passée et même de la présente semaine. Cette question du Tonkin, elle a été cette fois manifestement serrée de plus près dans ce débat auquel ont pris part, et M. le président du conseil et le président de la commission des crédits, et le rapporteur, M. Léon Renault, et les adversaires du gouvernement. Les explications ont été certes aussi étendues qu’animées. Le malheur est que, lorsque tant d’obscurités ont été amassées, on ne remet pas aisément la clarté dans une telle histoire et que même après cette discussion, qui s’est d’ailleurs terminée par un vote favorable au ministère, la situation, telle qu’elle reste encore aujourd’hui, se ressent forcément de tout un passé de fautes, d’équivoques, de dissimulations.

Il y a deux choses dans cette discussion qui s’est récemment engagée et dont le dénoûment est, après tout, moins décisif qu’on ne le croirait. Il y a ce qu’on peut appeler la question même de la politique de la France dans l’Indo-Chine, aux bords du Fleuve-Rouge, et il y a la question ministérielle, qui a aussitôt envahi le débat, qui n’était pas peut-être la moins importante pour la chambre. Ce n’est point évidemment d’aujourd’hui que s’est élevée pour notre pays cette question d’une politique orientale dont le point de départ, maintenant assez lointain, a été la prise de possession de la Cochinchine. Il y a dix ans, un nouveau pas était fait dans cette voie par le traité de 1874,