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de la Grèce qu’il avait voulu fonder ; c’était celle du monde. Admirablement placée à la limite de l’Afrique et de l’Asie, elle en devait voir affluer chez elle les richesses, offertes à l’industrieuse activité des peuples méditerranéens. Elle devenait le centre de tous les intérêts commerciaux et politiques. Ce vaste dessein ne survécut pas au conquérant, du moins dans sa grandeur primitive ; son tombeau, qu’Alexandrie conservait précieusement et qu’elle offrit aux méditations de César, en fut comme le monument. Cependant, même réduite au rôle de capitale de l’Égypte, Alexandrie était la merveille du monde grec. Si elle avait dû renoncer aux rêves de domination universelle, et si l’hellénisme, qui l’avait créée, avait été contraint d’y admettre le mélange des élémens égyptiens, du moins avait-elle rempli une partie de sa destinée et pris un caractère tout spécial dans cette colonisation grecque dont elle fut le suprême effort. Colonie indépendante et sans métropole, elle vit tous les pays grecs répondre à l’appel que semblait leur adresser le phare colossal dressé à l’entrée de ses ports, et sa vaste enceinte se remplit d’une foule cosmopolite. Avec les Grecs expatriés, s’y rencontraient les Égyptiens indigènes et les Asiatiques, en particulier les Juifs, qui avaient leurs quartiers à part.

La spirituelle idylle des Syracusaines nous met vivement sous les yeux quelques traits de la vie des émigrés grecs de la classe moyenne, fidèles à l’esprit et à la langue de la mère patrie au milieu de cette multitude où ils sont comme perdus, de ce mouvement et de ces splendeurs de leur patrie nouvelle qui les enchantent. C’est un jour de fête, les rues fourmillent de monde ; les deux petites bourgeoises de Syracuse, soutenues par une intrépide curiosité, ont peine à se frayer un chemin ; et ce qui ne contribue pas le moins à entraver leur marche, c’est le nombre de soldats, de chars et de chevaux qu’elles rencontrent sur leur passage. Nous sommes dans une monarchie établie par la conquête, et on en trouve partout l’appareil et le soutien. Mais la fête elle-même est ce qui marque le mieux le caractère de la nouvelle ville.

On célèbre les Adonies. Il y avait environ un siècle et demi que le culte asiatique d’Adonis avait pénétré dans les mœurs athéniennes. Au temps de la guerre de Sicile, les femmes le célébraient avec une ardeur dont témoigne Aristophane. Mais en Grèce, ou du moins à Athènes, ces lamentations et ces réjouissances au sujet de la mort et de la résurrection du jeune amant d’Aphrodite, bien que remplissant toute la ville, gardaient un caractère privé. Chacune dressait devant sa maison le lit funèbre d’Adonis. Dans Alexandrie, les Adonies prennent un caractère public, par cela seul que c’est la reine qui les célèbre. Toute la cité se précipite vers la cour du palais d’Arsinoé,