Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/129

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la France avant l’Italie. La vérité, c’est que la durée de la monarchie romaine était inconciliable avec la sécularisation des états, ailleurs partout achevée dès les premières années du siècle. Le trône temporel du successeur de Pierre eût été établi en France, en Allemagne, en Espagne, qu’il eût été renversé de même, un peu plus tôt seulement. Les trois millions de sujets du pape eussent habité une île, la dévote Sicile ou la catholique Irlande ; ils eussent été enfermés au cœur de montagnes escarpées, ou emprisonnés dans une oasis ceinte des sables du désert que, pour les maintenir sous la souveraineté pontificale, il eût fallu soustraire le patrimoine de l’église aux vents du dehors et arrêter à ses frontières les idées qui soufflaient sur le monde. L’Italie nouvelle serait détruite, elle verrait dissoudre son unité, qui, pour être plus récente que celle de la France, n’est ni moins naturelle, ni guère moins solide, que la monarchie pontificale, relevée sur les débris de la royauté unitaire, s’effondrerait bientôt sous son propre poids. Pour tenir debout, il faudrait qu’elle fût constamment étayée d’appuis étrangers, de contreforts et d’arcs-boutans du dehors, et où en trouver d’assez solides ou d’assez sûrs pour s’y fier ?

Au Vatican même, on ne saurait guère se faire illusion là-dessus. On y spécule sur les faiblesses de la politique italienne, sur les difficultés de la monarchie ; on y spécule sur l’appui éventuel des puissances, sur la possibilité même d’une sorte de coalition morale en faveur de la papauté ; mais, parmi les plus optimistes, bien peu oseraient se promettre de toutes ces combinaisons une véritable restauration de l’ancienne monarchie pontificale, même restreinte aux murs de Rome. Sur quelle puissance, en effet, compter pour la rétablir, pour la maintenir ? Laquelle serait assez désintéressée pour tenter une pareille aventure, et assez présomptueuse pour s’en croire capable ? Sans la longue domination de l’Autriche aux plaines du Pô, sans le besoin de ne pas lui abandonner toute la péninsule, la France elle-même, en 1848, n’eût probablement pas assumé une aussi lourde mission. Qui se porterait aujourd’hui héritier de Mentena ? Le dernier prince qui ait pu se croire une telle vocation gît enseveli à Goritz dans le drapeau de Louis XIV. Ce qu’une puissance isolée n’oserait raisonnablement rêver, plusieurs états réunis ne le pourraient-ils entreprendre ? Ce serait là, à notre sens, une autre illusion. Aucun syndicat européen ne saurait se charger à perpétuité d’une telle besogne. Les puissances sont trop divisées pour s’unir aisément dans une campagne effective en faveur du pape, et la plupart des états ont trop à compter chez eux avec les défiances de la démocratie pour s’engager dans une sorte de croisade au profit de la chaire romaine.