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Rappelez-vous le langage de M. de Bismarck, dénonçant en plein Reichstag la faiblesse de la maison de Savoie et montrant le gouvernement italien prêt à glisser, des mains des radicaux de la gauche, aux mains des adversaires de la monarchie[1]. »

Une chose certaine, c’est qu’en dehors même des catholiques ou des conservateurs proprement dits, les Italiens ne sont pas tous, à cet égard, sans inquiétude. Les hommes qui ont pris part à la révolution unitaire, sont parfois les premiers à se demander quelle est la solidité d’une royauté démocratique, jusqu’à quel point un trône peut être entouré d’institutions républicaines, quelles sont les chances de durée et la force de résistance d’une monarchie qui s’achemine de plus en plus à n’être qu’une république avec un roi pour président. Ces appréhensions, souvent inavouées y n’ont pas été étrangères au récent rapprochement de la droite et de la gauche parlementaires, et au transformisme de MM. Depretis et Minghetti. Le danger du côté de la démocratie, du côté de la république surtout, a beau sembler moins prochain qu’on ne l’imagine parfois sur ce versant des Alpes, l’on conçoit que les catholiques spéculent sur cette perspective. Ils montrent déjà Léon XIII, dans sa miséricorde, tout prêt, dès qu’il y sera invité, à se joindre à l’Italie pour arrêter les hordes envahissantes de la démagogie, — comme saint Léon arrêtait Attila[2].

La maison de Savoie, de son côté, a de trop vieilles traditions monarchiques, le roi Humbert, comme le roi Victor Emmanuel, est de trop antique race souveraine et a trop de sens politique pour ne pas désirer réunir sous la bannière royale toutes les forces conservatrices du pays. C’est là un rêve auquel la couronne pourrait à certaines heures faire de grands sacrifices ; mais il est une chose qu’elle ne lui saurait immoler, c’est son œuvre, c’est l’Italie nouvelle, qui lui doit l’existence, c’est le régime libéral qui a été la raison d’être et la justification de sa fortune. Pour effacer de son écusson la tache révolutionnaire et affermir l’assiette du trône, la royauté achèterait sans doute la reconnaissance des grandes influences

  1. Discours de M. de Bismarck en décembre 1881.
  2. Voyez il Papa e l’Italia (1881). Léon XIII lui-même semble parfois prévoir le moment où le gouvernement italien peut être obligé de recourir à lui. Tel parait du moins le sens de certains passages de ses discours, de celui-ci par exemple : « Si les passions populaires, qui ne sont pas moins funestes à la société civile qu’à la religion, continuent à croître et à prévaloir comme nous la voyons, il viendra peut-être un temps où les ennemis eux-mêmes reconnaîtront et invoqueront la puissante et bienveillante vertu qui abonde dans le pontificat romain, même pour la sauvegarde de l’ordre public et pour le salut des peuples. (Réponse du pape au cardinal di Pietro ; février 1882.)