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d’autrui, il défend le sien contre d’injustes appétits, la galerie, les témoins désintéressés, les écrivains militaires sérieux ne s’y laissent pas tromper. M. von der Goltz convient avec une entière bonne foi que, dans certaines circonstances, un peuple est fatalement voué à la politique d’action, que la politique d’action mène nécessairement aux guerres offensives, que les ministres entreprenans qui les ont voulues communiquent quelque chose de leur tempérament et de leurs façons d’agir aux généraux qui les exécutent, que les opérations militaires se ressentent de la première impulsion donnée, et que c’est l’homme d’état qui la donne. M. de Bismarck n’a jamais commandé d’armées, mais ceux qui les ont commandées pour lui semblent lui avoir emprunté sa dévorante activité et l’audace de ses méthodes. Notre auteur ajoute que, tant que l’empire germanique aura à sa tête l’homme supérieur qui dirige ses affaires étrangères, il n’entrera jamais dans l’esprit d’aucun officier allemand qu’il puisse être appelé un jour à tirer son épée pour défendre son pays. « Aujourd’hui, nous dit-il, notre méthode allemande consiste à frapper coup sur coup pour amener un combat décisif, qui nous paraît la suite nécessaire d’une offensive énergique jusqu’à la brutalité, von rucksichtsloser Offensive. Une pensée offensive préside en secret aux spéculations de nos théoriciens comme à la plupart de nos exercices pratiques. L’attente, la temporisation, le repos de l’homme qui se défendront pour nous peu d’attrait. Nous dressons nos officiers à agir par eux-mêmes, à prendre l’initiative, à poursuivre des résultats positifs, et tout cela pousse à l’action. Notre force réside dans les grandes décisions sur le champ de bataille. »

D’autre part, M. von de Goltz constate que, s’il en faut juger sur les apparences, la France n’est plus occupée que du soin de se défendre, témoin les grands travaux de fortification dont nous avons hérissé notre frontière de l’est et qui sont destinés à arrêter ou à ralentir la marche d’un envahisseur. Il estime que ces travaux sont fort sérieux et ne peuvent manquer de modifier les conditions où s’ouvrirait une nouvelle campagne : « C’est un point, dit-il, auquel il est bon de réfléchir pour ne pas commencer avec des idées fausses la guerre qui pourrait survenir. Le désenchantement remplacerait bientôt les illusions, et la confiance des soldats dans leurs chefs en serait ébranlée. Disons-nous bien qu’en tout état de cause, le travail sera plus dur, que nos premiers gains seront beaucoup plus maigres. » Ailleurs, il donne à entendre que, si désireux que soient les généraux allemands d’abréger le temps des périls et des énormes dépenses en obtenant de prompts résultats par de grands coups, la guerre que pourrait faire Allemagne à l’un de ses voisins, soit à l’est, soit à l’ouest, traînerait probablement en longueur, qu’ayant affaire à des puissances qui auraient préparé leur résistance de longue main et dont les armées