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cause de la disgrâce est à peu près invariable. Tous ces conseillers, ces présidens, ces juges qui viennent d’être frappés sont pour la plupart ceux qui avaient eu l’occasion d’affirmer par leurs arrêts la compétence de la juridiction civile dans les affaires des congrégations religieuses. Et ces magistrats ainsi sacrifiés à des animosités de parti, comment ont-ils été remplacés ? Il a pu y avoir, il y a eu vraisemblablement de très dignes choix ; il y en a aussi, il faut en convenir, de bien singuliers, puisque, dans une ville de province, un homme qui avait l’ivresse bruyante et qui avait été conduit en prison a été exonéré de toute poursuite parce qu’il allait entrer dans la magistrature. Qu’a répondu à tout cela M. le garde des sceaux ? Il n’a sûrement pas fait de grands frais de défense. Il a exécuté la loi 1 il n’a frappé qu’à bonne intention ! Il a choisi ce qu’il avait de mieux pour faire de nouveaux magistrats 1 Après tout, on avait mis dans ses mains une arme, il s’en est servi, et ce qui reste de plus clair, c’est que de longtemps peut-être la magistrature française ne se relèvera de ce coup, d’une mesure violente que M. le président du conseil veut bien mettre au compte des œuvres utiles de l’année.

Le malheur de M. le président du conseil est de mettre dans ses actes une équivoque qui est dans son esprit, de ne pas se faire une idée exacte des conditions de cette politique modérée dont il parle quelquefois, et il le montre bien certainement dans ces affaires religieuses, où, à tout instant, il mêle des passions de secte à quelques intentions de prudence. M. le président du conseil a de la peine à se débrouiller, à mettre un peu d’ordre dans ses idées. Est-ce donc qu’il fût si difficile de revenir définitivement à une politique réellement modérée, et même de faire accepter cette politique par une chambre dévorée de préjugés vulgaires ? Il suffirait peut-être de le vouloir avec une certaine suite, de défendre des idées justes avec une sérieuse et persévérante résolution.

On vient d’en avoir un exemple par ce qui s’est passé il n’y a que peu de jours dans cette chambre même à propos de l’ambassade de France auprès du saint-siège. Une fois de plus, les énergumènes de la république ont réclamé avec âpreté la suppression de cette ambassade. Un homme qui ne passe pas, que nous sachions, pour clérical, M. Spuller, d’accord avec le gouvernement, a courageusement défendu l’ambassade, démontrant avec talent la nécessité d’une représentation de la France auprès du Vatican ; il a résisté aux violentes objurgations des radicaux et il a gagné sa cause. Hier encore, M. le président du conseil n’a point hésité à livrer bataille pour défendre devant la chambre un vote du sénat rétablissant au budget le traitement de M. l’archevêque de Paris, quelques bourses pour les séminaires, et il a obtenu ce qu’il demandait. — Oui, sans doute, M. le président du conseil et quelques-uns de ses amis républicains, qui veulent