Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/237

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

caractérise mieux ce système que ce qui vient de se passer pour le budget. Ce budget n’existe pas d’hier, il a été présenté depuis près de dix mois. On s’est pourtant arrangé de telle façon qu’il a fallu tout expédier aux derniers momens sans réflexion, de la manière la plus précipitée et la plus décousue. La vérité est que le sénat n’a reçu le budget qu’à la dernière extrémité, si bien que le président de la commission des finances, M. Calmon, le rapporteur, M. Dauphin, n’ont pu eux-mêmes se dispenser de signaler les inconvéniens d’un tel système. Le sénat y a mis de la bonne volonté. Il a, dit-on, fait preuve d’abnégation, — il a tout voté sans discuter ; mais on ne prend pas garde que, sous prétexte d’épargner à la république « l’humiliation des douzièmes provisoires, » c’est la France qui est la. victime, et que, si l’on est réduit à expédier ainsi un budget de plus de trois milliards sans un contrôle sérieux, sans une discussion sévère, c’est le pays qui reste sans garanties. De sorte que, pour cette année qui fiait, les affaires financières ne sont pas plus brillantes que les affaires extérieures et intérieures.

Eh ! assurément, c’est la France qui souffre de cette politique qu’on lui fait, et, s’il y a une compensation, c’est que, malgré tout, sous des dehors inquiétans ou peu flatteurs, au milieu des agitations artificielles du moment, il reste un pays toujours vivace. Le pays vaut mieux que ceux qui le représentent et le gouvernent, et, n’en doutez pas, si, pour don de joyeux avènement, l’année nouvelle lui réservait une politique plus digne de lui, il retrouverait bientôt, avec son inépuisable vigueur, sa juste confiance dans ses destinées.

Le temps passe pour les autres nations comme pour la France. Les jours se succèdent, et si cette année qui finit a eu ses nuages, ses incidens ou ses surprises, on peut du moins dire aujourd’hui qu’elle a passé, en définitive, sans troubles sérieux, qu’elle laisse l’Europe en paix. A coup sûr, l’avenir ne peut pas être considéré comme bien clair et bien assuré ; des obscurités et des incertitudes, il y en a partout en Orient comme dans l’Occident ; des ombrages et des inquiétudes, il y en a peut-être dans les gouvernemens comme parmi les peuples : on a du moins gagné une année. La vie européenne a échappé aux grandes crises, et, après tout, les puissances qui disposent souverainement de la paix, qui seules peuvent ouvrir ou fermer l’outre aux tempêtes, ces puissances sont-elles donc si pressées de provoquer des conflits, de chercher des occasions d’aventures ? Ne sont-elles pas retenues par des intérêts de toute sorte, souvent par leurs propres embarras ?

Toutes les nations ont leurs difficultés et leurs problèmes. L’Angleterre a sans doute, depuis longtemps, la préoccupation de nos affaires du Tonkin, qui la tiennent sans cesse en éveil sur tout ce qui pourrait se passer dans ces régions de l’extrême Orient, et elle ne demanderait pas mieux que de mettre sa médiation au service de la France si les