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politique de bonne intelligence avec l’Italie n’exclut pas une sorte de reconnaissance publique de la souveraineté du saint-père, et que le fait a certes son importance comme signe caractéristique d’une situation.

Les Italiens ne s’y sont pas sûrement mépris ; ils ont feint de ne pas comprendre la portée d’une démarche qu’ils ne pouvaient empêcher. Ils ont redoublé de flatteries et de manifestations à l’égard d’un prince dont ils se sont efforcés de gagner les faveurs, dont ils ont voulu paraître les alliés empressés et préférés. Les Italiens sont peut-être bien compliqués ou bien subtils dans leurs tactiques et ils finissent par n’être plus même très habiles ; ils en viennent à rendre plus sensible ce qu’on pourrait appeler la moralité de cet incident qui vient de se passer à Rome. Car enfin, dans tout cela, il faut l’avouer, c’est le pape qui a le beau rôle. Le pape n’a rien demandé. Il a reçu en toute indépendance, sans compromettre son caractère, un prince dont il n’a pas recherché la visite, tandis que les Italiens mettent vraiment un peu trop d’obséquiosité dans leurs démonstrations. Ils ne s’aperçoivent pas qu’avec ces affectations trop visibles ils se créent une situation un peu diminuée. Ils ont l’air de rechercher à tout prix un patronage, de mettre leur indépendance sous l’égide d’un protecteur tout-puissant. C’est bien la peine d’avoir tant travaillé à conquérir l’indépendance, d’avoir tant lutté contre les suprématies étrangères pour en venir à paraître se placer sous le protectorat du vieil empire d’Allemagne reconstitué. Nous ne savons pas si, par sa visite au Vatican, le prince Frédéric-Guillaume est allé pour M. de Bismarck à Canossa. L’Italie est exposée à aller chercher son Canossa à Vienne ou à Berlin, et ce qui est pis, sans autre avantage que de paraître jouer un rôle dans des combinaisons où elle n’a qu’une influence assez limitée. Il y aurait, ce nous semble, une politique plus fière en même temps que plus prévoyante et plus sûre : elle consisterait pour l’Italie à garder sa liberté entre les nations qui l’entourent au lieu de se donner l’air d’aliéner son indépendance dans les mains de protecteurs puissans dont elle n’a pas besoin puisqu’elle n’est pas menacée, dont elle n’est après tout que l’alliée subordonnée et parfois compromise.

Le voyage du prince impérial d’Allemagne est peut-être destiné à laisser plus de traces au-delà des Alpes qu’il n’en laissera au-delà des Pyrénées. A peine les fêtes de Madrid ont-elles été terminées, l’Espagne s’est retrouvée aussitôt en face d’une situation intérieure qui existait sans doute avant le passage du prince allemand, qui maintenant se dévoile de plus en plus dans tout ce qu’elle a de compliqué et de difficile. Les cortès se sont réunies il y a quelques jours, et le discours par lequel le roi Alphonse a ouvert les chambres, ce discours qui était attendu avec une impatiente curiosité, a eu nécessairement pour première conséquence d’accuser plus vivement cette situation, en mettant aux prises tous les partis, toutes les influences. Le discours royal