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est l’exposé complet, touffu, démesuré de la politique espagnole, du programme du ministère de M. Posada Herrera, des réformes de toute sorte qu’on se propose de demander aux chambres.

Il y a une partie qui touche aux affaires extérieures et qui n’a rien que de rassurant. Le roi Alphonse se félicite naturellement de l’accueil qu’il a reçu dans ses excursions en Allemagne, des marques d’amitié qui lui ont été prodiguées, du récent voyage du prince Frédéric-Guillaume à Madrid. Il parle aussi de la France simplement, courtoisement, de manière à bien faire comprendre qu’il n’est rien resté des incidens de son passage à Paris, que les relations des deux pays demeurent parfaitement cordiales. Rien de mieux ; à vrai dire, la difficulté n’était pas là ; elle était dans l’exposé des affaires intérieures, des réformes toutes politiques que le ministère a inscrites dans son programme. Le discours royal a été visiblement conçu de façon à ne pas trop effaroucher les instincts conservateurs ; il aborde cependant les points décisifs. Il annonce qu’on proposera, sinon le rétablissement du suffrage universel, du moins ce qu’on a appelé « l’universalisation du suffrage, avec une représentation équitable pour tous les intérêts sociaux. » Il fait entrevoir aussi que le moment viendra où il faudra s’occuper d’une réforme de la constitution, et il ne laisse pas ignorer enfin que lorsqu’on aura fait une nouvelle loi électorale, il faudra en appeler au pays par une dissolution des cortès. Tout cela, encore une fois, est présenté sous une forme assez adoucie ; la question se trouvait néanmoins engagée par le discours royal, et c’est ici que les partis devaient nécessairement se rencontrer, qu’ils se sont rencontrés, en effet, dès les premières opérations des chambres.

La vérité est que le président du conseil, M. Posada Herrera, pour réaliser son programme, aurait eu besoin avant tout de l’appui d’une fraction de la majorité parlementaire dont son prédécesseur, M. Sagasta, est le chef. La première condition était d’arriver à une certaine fusion ou à un certain rapprochement des divers groupes libéraux sur le terrain des réformes politiques. Il y avait eu, il est vrai, des négociations, des conférences pour arriver à cette entente avant la réunion des cortès ; on avait cru même un instant être d’accord. Il n’en était rien. À peine le discours royal a-t-il été connu, la scission a éclaté plus vive, plus acerbe, plus irréconciliable peut-être que jamais. M. Sagasta, qui a été élu président du congrès, a inauguré sa présidence par un discours qui laissait entrevoir une hostilité déclarée. Dans l’élection de la commission nommée pour préparer la réponse au discours de la couronne, le ministère a rencontré la plus vive opposition, et un conservateur très résolu, ancien ministre de l’intérieur du cabinet Canovas del Castillo, M. Romero Robledo, a même été élu commissaire. La lutte s’est trouvée immédiatement engagée. Elle a été forcément ajournée par la