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mutilé et appauvri (je ne parle que de la première partie), a perdu toute signification. Or ces cent pages supprimées contiennent toute une métaphysique. La métaphysique, qui avait été la moitié du cours et l’objet de tout le semestre d’hiver (on sait que c’est de beaucoup le plus important dans les facultés), la métaphysique, dis-je, n’est plus, dans l’édition de 1846, qu’une sorte d’introduction générale ; et l’ouvrage nouveau est presque exclusivement une esthétique et une morale. Ce qui était le fond est devenu la préface ; ce qui n’était qu’application et conséquence est devenu le corps du livre. Par là s’explique ce caractère littéraire et oratoire que l’on a pu signaler avec raison dans l’édition définitive, mais qui n’est pas du tout, bien au contraire, le caractère de l’ouvrage primitif.

En mutilant ainsi la partie métaphysique de son œuvre, Victor Cousin nous paraît avoir été véritablement injuste et en quelque sorte ingrat envers lui-même ; car il sacrifiait ce qui avait fait sa gloire et son succès. La grande nouveauté du cours de 1818 a été précisément la renaissance en France de la métaphysique. Que venait, en effet, ajouter le jeune professeur à la philosophie de son maître, Royer-Collard, si ce n’est la métaphysique elle-même ? Depuis longtemps, cette science avait disparu en France. Avec Condillac, elle s’était réduite à être l’analyse des sensations. Maine de Biran, que Cousin appela plus tard « le premier métaphysicien de son temps, » n’avait publié aucun de ses ouvrages et était presque entièrement inconnu. Laromiguière n’était encore qu’un idéologue, et Royer-Collard lui-même un psychologue à la manière écossaise, avec plus de dialectique. Ce n’est pas Cabanis ni Destutt de Tracy que l’on appellera des métaphysiciens. Au XVIIIe siècle, Voltaire, d’Alembert, Condorcet, ont eu sur la métaphysique les mêmes idées que nos positivistes modernes. Le seul métaphysicien du XVIIIe siècle est Diderot, et encore à l’état confus et rudimentaire. Ajoutez-y quelques philosophes oubliés, Lignac, Gerdil (celui-ci plus Italien que Français), voilà le bilan de la métaphysique dans ce siècle de critique et d’empirisme. En un mot, il faut remonter jusqu’à Malebranche pour renouer la chaîne, et il ne serait pas exagéré de dire que, depuis les Entretiens métaphysiques de 1688, la première réapparition éclatante de la métaphysique en France a été le cours de 1818. Ce fut du reste l’impression du temps. Ce que Broussais combattit dans Victor Cousin, ce fut le métaphysicien. A l’étranger, ce qui représenta la métaphysique française pendant vingt années (pour Schelling, Hamilton, Gioberti), ce fut la philosophie de Cousin. Lorsque, plus récemment, on a cru devoir réagir contre Cousin au nom de la métaphysique, on n’a fait que revenir à la source. C’est un phénomène d’atavisme.

Abordons maintenant l’analyse du cours de 1818, d’après