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Avant que trois mois se fussent écoulés, Louis XIV écrivait Lui-même (7 décembre 1689) à l’intendant de la couronne[1] : « Ayant résolu de faire fondre et convertir en espèces les tables, guéridons, vases et autres pièces d’argenterie qui sont tant dans mon appartement que dans mon garde-meuble,.. mon intention est que vous les fassiez porter à la Monnaie pour être fondus ; » ce qui a fait dire à Voltaire : « que le roi se priva de toutes ces tables, de ces candélabres, de ces grands canapés d’argent massif, qui étaient des chefs-d’œuvre de ciselure des mains de Ballin, homme unique en son genre, et tous exécutés sur les dessins de Lebrun. Ils avaient coûté 10 millions, on en tira 3. » Ce fut même un peu moins : il résulte du procès-verbal de la. cour des monnaies qu’il fut fondu 88,222 marcs, qui produisirent 2,507,637 livres d’espèces.

Mais le roi n’avait sacrifié ses meubles d’argent que pour se sentir plus autorisé à imposer le même sacrifice à ses sujets, et (le 14 décembre) il interdit « de fabriquer aucun ouvrage d’or de plus d’une once et aucun meuble et pièce d’argent, à l’exception de la vaisselle plate de moins de 12 marcs, des flacons (de 8 marcs) et des flambeaux (de 4 marcs) sous peine de confiscation, de 6,000 livres d’amende, et de peine corporelle en cas de récidive. Il ordonne à tous les détenteurs d’ouvrages défendus de les porter aux Monnaies, qui les paieront à raison de 29 liv. 10 s. le marc de vaisselle plate et de 29 livres celui de vaisselle montée ; enfin il défend de fondre ou difformer les espèces à peine des galères à perpétuité. » Les meubles d’argent des particuliers, portés aux Monnaies et refondus ne produisirent que 3 millions de livres d’espèces.

La défense de fondre et difformer les espèces et la peine des galères qui la sanctionne se référaient à un édit plus important qui, la veille (13 décembre 1689), avait ordonné « la fabrication de nouvelles espèces et la réformation de celles qui avaient cours. » Ces nouvelles espèces, le louis d’or et l’écu d’argent, avaient le même titre et le même poids que les anciennes ; mais elles devaient avoir cours, les louis pour 12. liv. 10 s., au lieu de 11 livres et les écus pour 3 liv. 6 s. au lieu de 3 livres. La conversion de l’ancien numéraire devait être opérée dans un délai de quatre mois et demi durant lequel les ateliers monétaires comme le commerce (celui-ci jusqu’au 1er avril seulement) pouvaient recevoir toutes les espèces frappées depuis 1640, sur le pied de 11 liv. 12 s., les louis et de 3 liv. 2 s. les écus ; prix un peu supérieur à celui pour lequel elles circulaient.

  1. Ce document et plusieurs autres sont extraits de pièces et de notes que M. de Boislisle a eu l’obligeance de me confier, et que le savant éditeur de la Correspondance du contrôleur-général avec les intendans et des Mémoires de Saint-Simon a recherchées et réunies avec le soin pénétrant et judicieux qu’il apporte à ses travaux.