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Le préambule de cet édit rappelle que le roi s’est toujours appliqué à perfectionner le titre, le poids, le monnayage du numéraire ; mais l’abondance des espèces ayant encore plus d’importance, « et afin de réparer le tort que le luxe avait causé, » il a fait porter aux Monnaies une partie des excellens ouvrages d’orfèvrerie qui ornaient ses palais pour les monnayer. Cependant l’envoi de sommes considérables aux frontières pour la subsistance de l’armée et la fortification des places facilite tellement l’exportation des espèces que les précautions ordinaires pour l’empêcher deviennent inutiles, et il a cru ne pouvoir remédier à ce mal qu’en augmentant d’un dixième l’évaluation de ses monnaies, pour ôter toute espérance de gain à ceux qui seraient tentés de les exporter, et « comme il n’est pas juste que les particuliers profitent seuls d’une augmentation si considérable, » il a résolu « de faire convertir les monnaies courantes en nouvelles espèces d’or et d’argent du même titre et du même poids que les précédentes. » Il ne dissimule donc pas le véritable but de la mesure et il y insiste en ajoutant que si les particuliers qui porteront leurs anciennes espèces aux monnaies (à un prix légèrement supérieur aux cours actuels) profitent d’une partie de l’augmentation, « le surplus demeurera à son profit, ce qui lui a paru un moyen très légitime et très innocent pour tirer une partie du secours dont il a besoin pour soutenir les frais de la guerre. » L’opération n’aura même pas l’avantage de substituer aux pièces anciennes, souvent usées ou rognées, un numéraire neuf. On avait souvent regretté, dans le passé, le temps et les dépenses qu’exigeaient les refontes des monnaies : on les’ évitera à l’aide d’une machine récemment inventée par un ouvrier, et qui fournit, dit l’édit, « un moyen très simple de difformer, réformer et convertir les espèces, et d’épargner les frais et le temps nécessaires pour la refonte. » C’est précisément ce que la déclaration du lendemain a soin de défendre aux particuliers, sous peine des galères. Il ne s’agit donc, en définitive, que de faire rentrer un moment dans les mains de l’état, à un prix déterminé, toutes les espèces, pour les remettre aussitôt en circulation, après leur avoir donné l’apparence de pièces nouvelles, à un prix très supérieur qui procure un bénéfice au trésor.

La rentrée des anciennes espèces ne se fit pas aussi rapidement qu’on l’avait espéré : à l’expiration du délai de quatre mois et demi qui avait été assigné à l’opération, 168 millions seulement avaient été portés aux monnaies, et on estimait que la France avait 500 millions de numéraire à la mort de Colbert. De la fin d’avril à décembre 1690, il fallut proroger sept fois les prix de faveur (11 liv. 12 sols pour les louis et 3 liv. 2 sols pour les écus), qui avaient été attribués aux espèces anciennes, pour faire profiter les