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(puisqu’on avait pu l’emporter par surprise), n’avait été depuis lors que très imparfaitement réparée. L’autre armée, celle qui était destinée à reconquérir la Bavière et dont le maréchal de Broglie, avant sa défaite, devait aller prendre la conduite, venait à peine d’arriver sur les rives du Haut-Danube ; elle avançait lentement, attendant toujours son général, qui n’arrivait pas, sous la direction timide d’un chef provisoire, le duc d’Harcourt, qui n’osait rien risquer, parce qu’il n’avait ni les droits ni l’autorité d’un commandant supérieur. Tous ses mouvemens étaient d’ailleurs surveillés et tenus en échec par le corps d’armée du maréchal Khevenhüller, qui restait toujours maître de Munich. Bien des jours devaient s’écouler et bien des combats devaient être rendus avant qu’elle pût venir en aide aux troupes renfermées dans Prague, soit par une diversion heureuse, soit par une jonction toujours difficile à opérer.

Mais cette défaillance militaire n’était pas le seul ni le plus grand mal, car l’armée autrichienne, avec sa composition faite un peu au hasard, et ses bandes indisciplinées de Hongrois, de Croates et de Pandours, avait bien aussi ses faiblesses, et un coup d’audace et de fortune pouvait encore tout réparer. Le vrai sujet d’alarmes, c’était l’orage qui s’amassait de tous les coins de cet horizon européen, que Belle-Isle (l’ayant depuis plus d’une année parcouru tant de fois du regard) pouvait maintenant embrasser d’un seul coup d’œil. C’étaient toute l’Allemagne et même toute l’Europe, que la seule défection de Frédéric semblait avoir dégagées de tout lien envers la France et entraînées contre elle dans une conspiration ouverte ou sourde.

A Londres, un ministère nouveau, appuyé sur une majorité parlementaire belliqueuse, brûlait de signaler son avènement par quelque grand coup frappé contre l’éternelle ennemie de la grandeur britannique. La contagion de cette ardeur guerrière semblait déjà gagner les bourgeois de La Haye ou d’Amsterdam, chez qui un ministre anglais très actif, le lord Stairs, soufflait le feu sans relâche. En Italie, l’ambition piémontaise avait jeté le masque, et l’Espagne avait peine à lui tenir tête. Déjà le cabinet de Madrid se plaignait avec aigreur qu’on lui laissait porter seul toute la charge de la guerre et que ses armées, aventurées au-delà du Pô, ne recevaient de la France aucun appui efficace. Pour peu que, dans une coalition nouvelle, on consentît à faire une part à la tendresse maternelle d’Elisabeth Farnèse, l’intrigante princesse pouvait, à l’improviste, par un revirement subit qui était assez dans ses habitudes, changer de camp et passer d’une alliance à l’autre. A Saint-Pétersbourg, le crédit de la France, porté si haut par l’avènement d’Elisabeth, s’affaiblissait insensiblement, la nouvelle