Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

impératrice n’ayant pu consentir aux exigences excessives des Suédois, que l’ambassadeur, La Chétardie, avait eu l’imprudence de soutenir.

Chaque jour aussi voyait s’éclaircir, à Francfort, les rangs de la majorité factice et précaire qui avait porté Charles Vil sur le trône. La Saxe avait déjà suivi la Prusse, et le débile Auguste III ne songeait plus qu’à faire pardonner à Vienne, où son cœur était toujours resté attaché, un égarement momentané. Après Dresde, Trêves, Cologne, Mayence, puis toutes les principautés inférieures, allaient s’éloigner, l’une à la suite de l’autre, comme se dispersent les grains d’un chapelet dont le fil est rompu. L’exemple de la défection était venu de si près et de si haut qu’on ne pouvait plus compter sur personne, même à côté de soi, dans la plus étroite intimité, pas même sur les habitans de Prague, dont les uns étaient restés Autrichiens au fond de l’âme, tandis que les autres ne faisaient que suivre docilement le cours de la fortune ; pas même sur le pauvre empereur, qui, toujours criant misère, pouvait, de guerre lasse et par famine, être tenté de racheter, au moyen d’une concession opportune, la restitution de ses états héréditaires. D’ailleurs, dénué à la fois de capacité personnelle et de ressources matérielles comme l’était ce fantôme de souverain, son amitié apportait plus de charges que d’avantages, et tel moment critique était déjà à prévoir où sa fidélité, imposant des devoirs réciproques, serait plus incommode que sa défection.

Il n’était pas une de ces menaces, pas une de ces éventualités redoutables qui ne dût être présente à l’esprit de Belle-Isle au moment où il abordait le négociateur autrichien. Rien cependant dans son attitude ne trahit l’agitation de son âme. Le récit que sa dépêche nous fait de cette entrevue ne diffère par la fermeté, je dirais presque par la hauteur du ton, d’aucun de ceux où nous l’avons entendu rendre compte de ses succès et de ses espérances. Rien d’humble, rien de suppliant, rien même de trop douloureux dans l’exposé sincère qu’il trace des faiblesses de la situation. Dans ses entretiens avec le général autrichien, point de ces larmes et de ces défaillances qui déshonorent les vaincus sans émouvoir le vainqueur. L’usage du monde, le sentiment des convenances, je ne sais quelle confiance dans la dignité d’un rang qu’aucune adversité ne pouvait ébranler, donnaient aux hommes d’autrefois un calme dans Ie langage et une tenue dans toute leur manière d’être auxquels nous ne sommes plus habitués.

« Je me suis rendu, dit-il, aujourd’hui au rendez-vous, à l’heure marquée : j’y ai été à cheval, j’y suis arrivé avant M. le maréchal de Königseck, qui, à cause de la goutte dont il est attaqué, n’a pu y