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Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/383

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chronique des peintres, comme un équivalent de ce souper d’Auteuil dont l’histoire littéraire nous a conservé la joyeuse mémoire.

Si de pareilles expéditions étaient des raretés pour Poussin, qui n’aima jamais à s’écarter beaucoup de son logis, Claude, au contraire, était désireux d’étendre son champ d’étude et de varier les données de ses paysages. Avec Tivoli, ses stations favorites étaient Lariccia, Frascati et Subiaco. Ou bien, sans trop se soucier du mauvais air, il poursuivait ses pérégrinations à travers les marais Pontins, le long de cette côte enchanteresse qu’embellissent des cours d’eau nombreux descendus des montagnes voisines. La mer y apparaît à chaque, instant avec des aspects nouveaux, et dans mainte composition Claude a introduit les silhouettes fièrement découpées du promontoire de Circé, des îles d’Ischia ou de Capri, que l’on découvre à l’horizon. Sans doute, plus d’une fois aussi, il voulut revoir cette baie de Naples, dont il connaissait déjà les splendeurs, mais d’où, maintenant qu’il était en pleine possession de son talent, il avait espoir de rapporter un plus riche butin. Il y retrouvait cette mer étincelante et radieuse qui l’avait autrefois charmé, bien différente de ce qu’elle se montrait à lui dans le voisinage de Rome, avec ses plages basses et dénudées.

Ces diverses stations d’étude, on peut en suivre la trace dans les dessins de Claude, les uns sommaires, enlevés à la hâte et comme à la volée, en quelques traits d’une brutalité un peu grossière ; les autres plus soignés, prédis et pleins de charme, jamais minutieux cependant et toujours faits d’entrain et librement. Claude ne négligeait aucune occasion de se perfectionner dans son art. Au début, on avait bien pu lui reprocher, non-seulement, comme Sandrart le fait, quelque lourdeur dans ses premiers plans, mais aussi ces végétations massives, ces lianes épaisses dans lesquelles, à l’exemple de Brill, il emmaillote ses arbres, la raideur et la monotonie de leurs souches, et ces branchages simplifiés à l’excès qui les font ressembler à des coraux. Mais l’artiste s’était appliqué à se corriger de ces défauts. Ses premiers plans avaient désormais la même perfection que ses lointains. Il avait compris que, pour donner à ceux-ci tout leur prix, il fallait acquérir plus de souplesse et de légèreté, et ne pas compromettre l’aspect de ses œuvres par la rudesse de ces repoussoirs trop peu déguisés. S’il n’avait pu gagner grande habileté pour les figures et les animaux, pour tout ce qui tenait au paysage pur, il possédait maintenant à fond la pratique de son art : il était devenu maître. Sans minutie comme sans négligence, dans une mesure exquise il savait, il pouvait finir. Dans ses études peintes d’après nature il montrait aussi une science consommée. Ainsi que le rapporte Sandrart, Claude, pour ces études, se servait de carton « dûment préparé » ou de toile.