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contenterons de citer, pour les motifs assez étranges qu’ils nous présentent : le Château enchanté, appartenant à lord Overstone, avec une grande construction massive et sans aucun caractère qui s’élève au centre du tableau, entourée de tous côtés par la mer ; chez le duc de Westminster, le Sermon sur la montagne, une composition bizarre dans laquelle le Christ, du haut d’un grand rocher conique, donne ses enseignemens à des auditeurs évidemment placés hors de la portée de sa voix ; enfin, pour terminer par deux des toiles #les plus importantes de Claude et qui nous paraissent mériter tout à fait la première place dans son œuvre, les grands tableaux que possède lord Ellesmere (Bridgewater-House). Ces deux pendans très décoratifs nous montrent des paysages pleins de grâce et de suavité, enveloppés et comme pénétrés d’une lumière éblouissante, tout frémissans de ce souffle de vie qui est la suprême poésie de la nature. Si, à distance, leur tenue est magnifique, de prés, leur exécution n’est pas moins admirable. Dans l’un d’eux, le Démosthéne, nous retrouvons encore cette mer azurée à laquelle Claude a su donner un aspect à la fois si doux et si puissant.

Il est regrettable que Félibien, qui nous a laissé sur Poussin tant de précieux détails[1], parle à peine du Lorrain. Mais le nombre et l’importance des commandes qui étaient faites à Claude nous permet d’apprécier la vogue dont il jouissait. Son caractère aimable lui avait de bonne heure valu de nombreux amis. Très accessible aux jeunes gens, il était envers eux plein de bienveillance et ne leur épargnait ni les leçons ni les encouragemens. Parmi les artistes qui profitèrent de ses conseils, on peut citer un Hollandais, Herman Swanevelt, qui fut son élève. D’humeur sauvage et mélancolique, celui-ci ne voulait frayer qu’avec son maître, et son amour de la solitude lui avait fait donner le surnom d’ermite Talent froid, correct, un peu mou, très supérieur comme dessinateur-et graveur à ce qu’il est comme peintre, Swanevelt devait quitter l’Italie pour se retirer en France, où, en 1653, il était reçu membre de l’Académie de peinture. D’autres paysagistes, compatriotes d’Herman, s’ils n’ont pas été les élèves de Claude, ont sans doute eu avec lui des relations plus ou moins suivies et, en tout cas, ont subi son influence. De ce nombre sont Asselyn, élève de Pierre de Laar et qui a dû être introduit par lui auprès de son ami ; Pynacker, Jean Both et, plus tard, Karel du Jardin, d’autres encore qui, avec un réalisme plus marqué, ont reproduit les aspects familiers de la nature italienne. Dans les représentations exactes qu’ils nous donnent de cette

  1. Félibien était à Rome en 1647, en qualité de secrétaire d’ambassade et s’occupait lui-même de peinture ; il reçut alors des leçons de Poussin, dont il demeura toute sa vie l’admirateur et l’ami.