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répartis au point de vue pittoresque, s’harmonisent toujours heureusement avec les lignes et l’effet de la composition, mais il faut bien reconnaître que l’intérêt qu’ils y ajoutent et la signification qu’ils peuvent avoir par eux-mêmes sont à peu près nuls. Claude était complètement illettré, et en matière de convenance historique il ne pouvait se piquer d’être un bon juge. Ce qu’il connaissait des fables antiques, il l’avait appris dans une traduction d’Ovide[1], où il avait l’habitude de chercher les sujets mythologiques qu’il voulait représenter. Quand, parfois, les épisodes dont il anime ses paysages offrent avec eux un accord heureux, c’est un hasard. Nous en avons cité quelques-uns, — et il serait facile d’en grossir le nombre, — où les discordances sont choquantes et sautent au regard. L’artiste ne semble pas, du reste, y attacher grande importance. C’est pour se conformer au goût d’alors et pour plaire à ses cliens qu’il garnit ainsi son tableau de figures, et, comme il le dit, « il les leur donne par-dessus le marché. » Si, dans ces tentatives, Claude se sent paralysé et montre quelque gaucherie, en revanche, pour tout ce qui a trait au paysage pur, il est à l’aise, et la nature est son vrai domaine. Il n’y avait pas pour lui de plaisir supérieur à celui qu’il goûtait à l’étudier. C’est avec une sincérité respectueuse qu’il la consultait ; mais, quelque charme qu’il trouvât à cette étude, il ne croyait pas que dans ses tableaux il dût se borner à reproduire, sans les modifier, les copies fidèles qu’il avait ainsi recueillies. On serait même tenté de regretter, quand on parcourt la série de ces études, que quelques-unes d’entre elles n’aient pas été plus naïvement interprétées par lui, avec leur saveur originale, avec ce parfum de franche rusticité qui l’avaient séduit. Ce lac silencieux, perdu sous de grands arbres, et les montagnes élevées qui émergent de ce fouillis de verdure ; ces fermes de si belle apparence qui se dressent fièrement au bord du Teverone, dominées elles-mêmes par des côtes aux contours purs et gracieux ; ce torrent aux berges ravinées qui coule à travers une campagne déserte, tous ces coins intimes ou grandioses dont Claude a si bien exprimé la beauté dans ses dessins, semblaient devoir prêter à des tableaux qu’il ne s’est pas décidé à peindre. Timide et modeste comme il l’était, il n’avait pas assez de confiance dans son propre goût pour imposer à ses contemporains des sujets aussi simplement agrestes. C’est pour sa propre satisfaction qu’il les reproduisait dans leur vérité familière ; mais quand il s’agissait de tableaux, il devenait plus exigeant en fait de pittoresque. Les études dont il avait pu meubler ses cartons, il les modifiait, les combinait entre elles, en variant leurs dispositions suivant le dessein qu’il s’était formé. Il

  1. Dans la traduction d’Anguillara, accompagnée des notes de G. Horologgi.