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gisait accablé ; la fièvre avait fait en trois jours une terrible besogne.

Mioko-Koanga oulé so femme ! (Bras-Coupé veut sa femme ! )

À ces mots, don José tressaillit violemment.

Bras-Coupé oulé so femme ! répéta l’Africain.

— Emparez-vous de lui ! cria le malade essayant de se lever. Mais, bien que plusieurs serviteurs fussent accourus, aucun d’eux n’osa s’attaquer au géant. Le maître tourna ses yeux supplians vers sa femme ; le visage caché entre ses mains, elle semblait paralysée par le pressentiment de ce qui allait s’ensuivre. Bras-Coupé leva son grand bras noir et commença :

Mo cé voudrai que tomaison ci là et tout ça qui pas femme ici seraient encore maudits !

Et le maître retomba sur ses oreillers avec un gémissement de rage impuissante.

Bras-Coupé, désignant les champs par la fenêtre ouverte, les condamnait à ne plus connaître la charrue, à ne plus nourrir le bétail. Tout à coup Palmyre entra.

— Parlez-lui, cria faiblement le malade.

Elle marcha droit à son mari et leva la main. Avec la rapidité de l’éclair, comme un lion fond sur sa proie, il la saisit par l’épaule.

Bras-Coupé oulé so femme ! dit-il.

En ce moment, Palmyre l’aurait suivi jusqu’à l’équateur.

— Tu ne l’auras pas ! balbutia le maître.

La stature gigantesque de l’Africain parut grandir encore, et tenant toujours sa femme à longueur de bras, il reprit ses malédictions ; il souhaita que les mauvaises herbes couvrissent la terre jusqu’à remplir l’air de leur odeur et à servir d’asile aux bêtes de la forêt.

Par un effort surhumain, don José s’était soulevé, le poing tendu en signe de défi, mais son cerveau s’embrouilla, il se sentit devenir aveugle, et quand il reprit connaissance, sa femme, aidée par Palmyre, lui prodiguait des soins. Bras-Coupé avait disparu.

Tout continua d’aller mal sur la plantation : les paroles du voudou furent accomplies ; le sol refusait de rien produire, les troupeaux dépérissaient, les ronces et les mauvaises herbes s’entrelaçaient partout dans un désordre désespéré :

— Pourquoi, demanda plus tard un prêtre au géreur découragé, pourquoi la señora ne s’est-elle pas servie du pouvoir qu’elle exerce sur ce misérable en interrompant sa malédiction ?

—S’il faut dire la vérité, mon père, répondit tout bas le géreur, je crois qu’elle trouve que Bras-Coupé a un peu le droit d’agir comme il le fait.