Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/429

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Mais Palmyre,.. Palmyre en serait venue à bout. Un regard de Palmyre l’eût arrêté.

— Palmyre ! .. Bah ! elle est devenue la meilleure monture (médium infernal) de la paroisse. Ne le saviez-vous pas ? Quelquefois je me dis que Bras-Coupé est mort et que son esprit est entré dans le corps de sa femme. Elle ajouterait plutôt à la malédiction qu’elle n’en retrancherait rien.

Sur ces entrefaites, don José eut une double occasion de se réjouir : sa femme lui donna un fils et il apprit que la police avait mis la main sur Bras-Coupé. Ce fut un dimanche, dans l’après-midi, que s’accomplit cette mémorable capture. Une bande d’Indiens Chactaws ayant organisé un jeu de raquettes derrière la ville et une autre partie étant sur le point de s’achever entre les champions blancs de deux faubourgs rivaux, la populace entière, attirée par le fracas des tamtams et des cornes de bois, s’était portée à travers champs vers un endroit dont le nom actuel, place Congo, rappelle encore le souvenir de ces vieux passe-temps barbares. Sur la plaine herbue, au-dessous des remparts, les musiciens, si l’on peut donner le nom de musique à un vacarme aussi discordant, étaient assis par terre, les uns en face des autres, et autour d’eux les danseurs tournaient par couples, tordant leurs corps dans les plus inconcevables attitudes, tandis que le public nègre, excité par le bruit et le spectacle de ces contorsions effrénées, se balançait en masse avec les signes d’une sympathie passionnée, battant des mains, se frappant la poitrine ou les cuisses avec des tambours et des mâchoires de mules, employées en guise de crécelles, puis par intervalles chantant à l’unisson sur ce mode africain que l’on ne peut ni décrire ni oublier, les refrains impossibles à reproduire des danses Babouille et Counjaille, avec les éjaculations voulues de : « Aie ! aie ! Voudou, Magnan ! Aie Calinda ! Dancè Calinda ! » Le volume de son s’élevait et retombait à mesure qu’augmentaient ou diminuaient les folies des danseurs. Tantôt un nouveau-venu souple et reposé, bondissant dans le cercle, réveillait par ses gambades la verve des musiciens et l’enthousiasme des assistans ; tantôt un danseur épuisé, saisi d’émulation, rassemblait ses dernières forces au cri de : Dancé zisqu’à mort ! faisait une magnifique, une extravagante culbute finale, et tombait en écumant. L’excitation était au comble. Il avait fallu entraîner dehors plus d’un danseur à bout de forces, quand tout à coup le plus noir des Africains bondit dans le cercle, un athlète d’une extraordinaire beauté, tout carillonnant de clochettes des pieds à la tête, chaussé de mocassins, la tête parée de plumes, un collier de dents d’alligator retombant sur la poitrine, un serpent en vie enroulé autour du cou.