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chanteur la véritable scène de sa vocation. Attiré un moment par. les circonstances dans cette forêt touffue de l’Opéra, il n’y établit pas son champ de guerre. Bien des raisons, d’ailleurs, s’y opposaient : en premier lieu, ses rapports : sociaux avec les princes de la jeunesse, hier ses camarades de plaisir et qui, déjà, ne lui témoignaient plus la même intimité. Des froissemens de ce genre, Candia n’était pas fait pour les supporter, de quelque part qu’ils vinssent, et il le leur prouva, mais en comprenant que le Théâtre-Italien, plus. rapproché des salons, convenait infiniment mieux à sa nature. On peut donc dire que de son émigration à Ventadour date sa période d’influence.

Le Théâtre-Italien était à ce moment un des élémens de la vie parisienne ; ceux qui tentent de le reconstituer aujourd’hui remontent les courans du siècle ; ils s’imaginent être le public et ne sont qu’une coterie. Était-ce pour « se retrouver » et faire bande à part que cette société du gouvernement de juillet accourait, ne cédait-elle pas plutôt à un ensemble d’impulsions dont on ne se rendait pas même compte ? La musique d’abord, aimée de tous, applaudie, acclamée, en plein crédit, en plein rapport et que nulle esthétique encombrante n’était encore venue atteindre ; puis les musiciens : Rossini, Bellini, Donizetti ; puis les chanteurs, Rubini, Lablache, la Malibran, la Sontag, la Grisi ; puis enfin des sympathies de race que les événemens ont dispersées, toutes choses qui ne se rencontreront plus. Une période a son organisme dont les ressorts ne se détaillent pas à volonté, Ventadour fut un des ressorts de ce temps-là et certes pas des moins intéressans. Eussiez-vous les chanteurs, eussiez-vous les maîtres que ce serait l’auditoire qui vous manquerait ; ralliez donc aujourd’hui ce personnel de duchesses sorties non pas des romans de Balzac, comme on l’a prétendu, mais des salons de Madame la dauphine ; car l’esprit, le ton, le goût de la restauration survivaient dans cette salle, et jusque à ces causeries traditionnelles des entr’actes où se mêlaient des échos de la tribune parlementaire, tout respirait un air d’élégance et de distinction. Je n’en veux ni au sport, ni aux clubs d’avoir tué les salons, force m’est bien pourtant de reconnaître de quel côté souffle le vent. Quand j’assiste au succès toujours croissant des concerts populaires, quand je vois s’affirmer par des symptômes indiscutables l’avènement d’un art nouveau, je ne puis m’empêcher de m’étonner, que ce soit juste cette occasion que l’on choisisse pour s’efforcer de rétablir parmi nous ce qui n’a plus sa raison d’être. Revenons au passé. Les Souvenirs de Mme d’Agoult contiennent des pages excellentes sur les dix premières années du règne de Louis-Philippe, qui furent l’âge d’or du Théâtre-Italien. La virtuosité, reine du moment, y lâche ses principaux masques, et dans le nombre il en est deux, la