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Mais Nana-Sahib s’adresse à Tippoo-Raï dans un meilleur langage :


Par crainte de l’Anglais, vous rêvez aujourd’hui,
L’ayant trahi pour moi, de me trahir pour lui.


Lord Withley ne craint pas de justifier le fiancé de sa fille en ces termes :


Il ne peut pas risquer des coups définitifs
Qui seraient des arrêts de mort pour nous, captifs.


Mais Cimrou et le Yogui échangent ces répliques, où l’allure cornélienne se retrouve :


Tu peux gagner le ciel !
— Mon amour m’en tient lieu !
Siva te maudira !
— Je suis mon propre dieu !


Pour les vers pittoresques, il serait facile d’en citer cent d’une beauté remarquable, et facile d’en citer autant qui sont du galimatias triple. On voit que M. Richepin n’est pas avare de surprises. La nature permet qu’il produise l’excellent et le pire, et dans des genres contraires : il produit tout ce qu’il peut, et ne se gouverne pas.

Il possède les dons de la force et de la grâce, du nombre et du mouvement ; il a l’imagination théâtrale : pourquoi n’aurait-il pas la dramatique ? Nous attendons pour juger son talent qu’il daigne concevoir un drame. Jusque-là, même en supposant que le récit du Cid, dans un recueil de morceaux choisis, soit éclipsé par le récit de Nana-Sahib, nous ne pouvons nous distraire de cette pensée que l’un, à sa place, est vraisemblable et sort naturellement de la bouche du héros après la bataille, tandis que l’autre est soufflé par l’auteur à son interprète, fort inconsidérément, à l’heure où l’assaut menace. Nous avons tort sans doute, puisque ce poème n’est pas un drame, quoique représenté sur les planches ; mais un tel souci nous incommode pour en admirer les beautés propres ; nous ne saurions ensuite le traiter avec justice, et, s’il advient que nous en parlions, le mieux sera presque aussitôt de nous taire.


Louis GANDERAX.