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lui est créée, et il confie ses chagrins à qui veut les écouter ; on sent à son langage que sa soumission résignée à toutes les volontés anglaises n’est pas sans quelque arrière-pensée amère. Le ministère égyptien, présidé il y a quelques jours encore par Chérif-Pacha, a senti lui aussi qu’il ne pouvait plus rester dans ces conditions par trop périlleuses. Khédive et ministère se sont tournés vers le protecteur tout-puissant, vers l’Angleterre : ils lui ont demandé secours contre l’insurrection du Soudan ; ils lui ont dit d’une manière plus ou moins claire que, puisqu’elle était la maîtresse de l’Egypte, c’était à elle de sauvegarder l’intégrité égyptienne, — ou que, si elle n’envoyait pas des forces, on serait obligé de rétrocéder les provinces menacées à la Porte, qui se chargerait de les défendre ou de les reconquérir si elle le voulait. Probablement les ministres égyptiens comptaient un peu sur l’effet de cette menace d’un appel à une intervention de la Porte, et il est possible que, dans d’autres circonstances, l’Angleterre se fût quelque peu émue de cette éventualité. Cette fois, le cabinet de Londres s’est montré parfaitement insensible ; pour toute réponse à la communication égyptienne, il paraît avoir conseillé l’abandon du Soudan, en ajoutant que, dans tous les cas, si la Porte devait intervenir, elle interviendrait à ses frais, elle ne passerait pas par le territoire égyptien, elle serait tout au plus libre d’aborder par les côtes de la mer Rouge. En d’autres termes, l’Angleterre a, pour le moment, éludé tout engagement. Devant cette réponse, surtout devant le conseil peu patriotique de céder les provinces du Soudan, les ministres égyptiens ont fini par se révolter, et ils ont aussitôt donné leur démission. Le malheureux khédive a bien été obligé d’accepter cette démission, puisqu’il ne pouvait pas faire autrement, et il s’est même donné un air de souverain en choisissant de nouveaux ministres. Il a formé, tant bien que mal, un cabinet à la tête duquel est placé un personnage connu depuis longtemps, Nubar-Pacha, qui, on le comprend, ne devient premier ministre que pour exécuter les volontés anglaises, à commencer par l’abandon du Soudan. L’Angleterre aurait certainement tout aussi bien fait de prendre directement l’administration du pays ; si elle ne l’a pas fait, si elle a pris des intermédiaires, c’est qu’elle a voulu maintenir encore quelques apparences qui ne trompent d’ailleurs personne. Au fond, c’est un assez triste expédient qui ne sert à rien, qui ne remédie à rien. La condition de l’Egypte ne reste pas moins lamentable, et, à tout prendre, le rôle de l’Angleterre elle-même n’est pas des plus brillans, puisqu’il est avéré qu’une si grande puissance n’a été depuis dix-huit mois dans la vallée du Nil que pour assister à la décomposition, à la ruine et au démembrement d’un pays jadis florissant.

Non, en vérité, l’Angleterre n’a point été heureuse jusqu’ici avec ces