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affaires d’Égypte ; elle n’a été heureuse ni dans l’intérêt de la vice-royauté du Nil, ni dans l’intérêt de son propre protectorat, puisque provisoirement elle n’a rien fondé. C’est en partie, si l’on veut, la faute des événemens qui ont précédé son intervention et qui avaient préparé la désorganisation présente du pays ; c’est un peu aussi, il n’en faut pas douter, la faute d’un ministère dont les divisions expliquent les hésitations, qui depuis l’origine a cru pouvoir tout concilier avec des demi-mesures et des compromis. Quelle que soit la cause, le résultat ne reste pas moins ce qu’il est, parfaitement médiocre et tel que l’Angleterre ne peut s’en tenir là sans se manquer à elle-même, sans donner à l’Europe le droit de lui demander si c’est pour présider à la ruine de l’Égypte qu’elle a voulu aller seule sur le Nil. Que fera-t-elle maintenant ? Conseiller ou imposer l’abandon du Soudan, même de Khartoum, qui a eu jusqu’ici son importance par sa position, c’est bien aisé ; mais c’est peut-être aussi une assez dangereuse combinaison de faire coïncider l’établissement d’un protectorat avec le dèmembrement de l’Égypte, avec l’abandon de toute une région depuis longtemps conquise et rattachée à l’empire de Méhémet-Ali. C’est créer une condition singulièrement difficile, et au gouvernement diminué qu’on laissera subsister eh le protégeant, et à la puissance protectrice qui ne sera plus dans le pays que la représentation visible d’une humiliation nationale. Le dernier ministère égyptien, en se retirant, a protesté contre ce qu’on voulait lui imposer, et il n’est pas sûr que cette protestation ne trouvera pas un jour ou l’autre quelque écho. D’un autre côté, l’Angleterre, en refusant de s’engager dans une campagne au Soudan, en se bornant à une défensive limitée, permettra-t-elle au mahdi de se créer une sorte de domination, ou laissera-t-elle les Turcs aller rétablir leur suprématie dans ces contrées ? C’est s’exposer à voir s’élever une puissance nouvelle qui pourra poursuivre ses agressions et menacer le cours du Nil, Un homme qui a gouverné ces régions, le général Gordon, disait récemment que le Soudan oriental était indispensable à l’Égypte, que la défense de l’Égypte proprement dite serait beaucoup plus coûteuse, si le Soudan est abandonné, que ne le serait la défense de cette province elle-même ; il ajoutait que à le danger consistait dans l’établissement, tout près de la nouvelle frontière de l’Égypte, d’une puissance mahométane entreprenante qui exercera une grande influence sur les populations égyptiennes placées sous l’autorité de l’Angleterre. » Et avec tout cela, qui sait si l’on ne prépare pas pour un jour prochain quelque réveil de la question orientale tout entière ?

L’Angleterre, on le voit, n’est point au bout des difficultés qu’elle s’est créées en Égypte. Que serait-il arrivé si, au lieu d’aller seule dans la vallée du Nil, elle y était allée avec la France ? C’était sans nul doute