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Les successeurs d’Auguste auraient à peine eu besoin de marine s’ils n’avaient voulu étendre leur police vigilante jusque sur les mers. Il fallait, dans le plan de la politique impériale, que la paix et le bon ordre régnassent partout. Des stations navales échelonnées sur l’immense littoral de l’empire prévenaient à la fois les mouvemens séditieux des provinces encore mal soumises et les déprédations des pirates. On entretenait une flotte à l’entrée du golfe de Naples : c’était la grande flotte, la flotte du cap Misène, celle que commanda sous Néron un des meurtriers d’Agrippine, l’affranchi Anicetus, et, quelques années plus tard, sous un règne moins affreux, Pline l’Ancien. Une autre flotte demeurait constamment rassemblée à Ravenne, sur l’Adriatique. Rome avait des vaisseaux dans le port de Fréjus ; elle en avait également dans le port d’Aquilée, à l’entrée du labyrinthe que formaient les lagunes des Vénètes ; une division de quarante navires de guerre, montés par trois mille hommes, navires qui se portaient, suivant les circonstances, de Byzance à Cyzique et de Cyzique à Trapézonte ou à Dioscurias, répondaient, avec la flottille du Danube, de la sécurité du Pont-Euxin. La flotte de Syrie et la flotte d’Egypte s’appuyaient au besoin sur une station intermédiaire placée à Carpathos, dans les eaux de la grande île de Rhodes ; la flotte de Bretagne comptait comme auxiliaires la flottille de la Somme et la flottille du Rhin. Sur aucun point la mer n’était sans surveillance : gardée de tous côtés par une force permanente, elle appelait le commerce, rassuré contre la piraterie, à reprendre ses anciennes allures et lui rouvrait, après une longue interruption, le chemin à demi oublié de ses vieux entrepôts.

Arrien nous montrera la marine romaine au cours de ses occupations habituelles : surveillant les côtes, inspectant les postes militaires, ne rencontrant sur mer d’ennemis nulle part et devant, par conséquent, s’abandonner peu à peu à une fatale langueur. Telle la connut Arrien, telle nous la décrira deux cent soixante-six ans plus tard l’auteur des Institutions militaires, Flavius Vegetius Renatus, autrement dit Végèce. Aucun progrès sensible n’a marqué le long espace de temps qui s’est écoulé depuis la bataille d’Actium : « Il y avait toujours à Misène et à Ravenne, dit Végèce, deux flottes montées chacune par une légion. » — Ces deux légions étaient le rebut de l’armée : quand Didius Julianus voulut opposer aux légions de la Pannonie les soldats de marine tirés de la flotte de Misène, la populace de Rome ne put s’empêcher d’insulter aux évolutions ridicules de ces troupes novices qui prétendaient prendre place à côté des prétoriens. — Le préfet de la flotte de Misène commandait les liburnes dans les mers de la Campanie, celui de la flotte de Ravenne étendait ses croisières jusqu’à l’extrémité de la mer Ionienne. Chaque liburne avait son navarque, qui en était à la fois, comme les