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revint, par instinct, à ce culte de la force physique qu’elle avait paru un instant abjurer. Le successeur que les soldats mutinés donnèrent à Sévère mesurait plus de huit pieds romains de haut : 2m,35. Il lui arriva souvent de boire dans un jour vingt-six litres de vin et de manger jusqu’à soixante livres de viande ; on le disait de force à terrasser sept des plus vigoureux soldats de l’armée. Ce géant, doué de l’appétit de Polyphème, n’était pas un Romain ; Maximin reconnaissait pour auteurs de ses jours deux barbares ; son père était de race gothique, sa mère appartenait à la nation des Alains. Qu’était donc devenue la cour élégante et polie d’Auguste ? On n’apprécie pas à sa juste valeur l’immense service que nous a rendu l’invention de la poudre ; elle a soustrait le monde à la domination des butors.

En l’année 235, les butors trouvaient aisément à qui parler : les régions du Nord laissaient alors descendre peu à peu vers le monde romain une nouvelle famille de peuples qui semblait vouloir rendre à la race humaine les proportions gigantesques des temps héroïques. Si, comme on l’a prétendu avec une grande apparence de raison, les régions polaires, refroidies les premières, ont été aussi les premières à présenter des conditions d’existence possibles, il est tout naturel que la péninsule Scandinave ait mérité le nom que lui donne Jornandès, de fabrique des nations et de réservoir des peuples. A une époque qui doit être postérieure à l’âge de la pierre polie, puisque déjà on construisait des vaisseaux, trois bateaux partirent de cette île Scanzia, qui, suivant le géographe Ptolémée, affecte la figure d’une feuille de cèdre, et vinrent aborder au rivage opposé de l’océan, non loin de l’embouchure de la Vistule. Un de ces vaisseaux, moins bon marcheur que les deux autres, était resté en arrière. On donna par dérision à ceux qui le montaient le nom de Gépides, ou traînards : gépanta signifiant, dans la langue de ces aventuriers, paresseux. Les Gépides formèrent plus tard une des puissantes tribus de la grande nation des Goths. Des siècles s’écoulèrent : les Goths s’étaient insensiblement portés des bords de la Vistule à ceux du Borysthène. Ils suivirent, poussant devant eux leurs troupeaux, le cours de ce grand fleuve et occupèrent, sans rencontrer de résistance sérieuse, les immenses plaines de l’Ukraine. Au début du IIIe siècle de notre ère, sous le règne du successeur d’Héliogabale, ils apparurent sur le littoral du Pont-Euxin, avec leurs boucliers ronds, leurs épées courtes, et leurs rois héréditaires. On les prit d’abord pour des Scythes et longtemps on ne leur donna pas d’autre nom : c’était cependant une tout autre race qui venait réclamer sa place au soleil. « Les Goths, dit Jornandès, dépassaient les Romains en taille et en bravoure. » On redouta bientôt leur fureur guerrière dans le combat.