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qui sont Français comme nous et qui prendront les armes au premier ordre. Êtes-vous prêts à monter à la brèche ? Après ce qui s’est passé ces jours derniers et la manière dont M. de Broglie a emporté vos parallèles, vous êtes trop homme de guerre pour conseiller à M. le grand-duc de s’y risquer. (Il fallait qu’il fût bien en colère pour rendre cette justice à un fait d’armes de M. de Broglie.) Puis, quand vous aurez emporté la première ligne, vous en trouverez une seconde, et un nouveau siège à faire. Ne le savez-vous pas ? — Il est vrai, dit le maréchal, un peu étonné d’être pris si vivement à partie, que vous avez fait abattre bien des maisons pour vous mieux défendre. — Ah ! vous n’avez pas tout vu, bien que, de la hauteur où vous êtes campé, vous puissiez découvrir, comme si vous y étiez, tout ce qui se fait dans la place. (Ici c’était, lui-même qui se mettait en scène et son propre ouvrage qu’il vantait, car il s’était particulièrement occupé des travaux de fortification.) Je ne vous parle pas, dit-il enfin, touchant le point sensible, du secours qui va venir, vous savez mieux que nous combien de journées nous avons encore à l’attendre. Mais, bien que vous nous ayez intercepté bien des petits courriers, nous en savons aussi quelque chose. Vous savez mieux que nous aussi ce qui se passe en Europe ; mais la démarche présente, après le refus si sec opposé à des propositions comme celles que j’avais faites, nous donne à penser que la reine et M. le grand-duc ont des intérêts pressans pour nous rechercher. Peut-être avez-vous perdu une bataille sur le Danube ? Peut-être le roi de Prusse se repent-il de nous avoir abandonnés, et le roi de Pologne de l’avoir suivi ? Enfin, nous étions à bille égale le 2 juillet. Il paraît que nous ne le sommes plus aujourd’hui. »

Il conclut en disant qu’en aucun cas, il ne pourrait entrer en négociation, après tous les changemens survenus dans l’état des choses, sans avoir demandé de nouvelles instructions à sa cour. Si les sentimens pacifiques du grand-duc étaient sincères, la meilleure manière de les témoigner était de suspendre le siège, de conclure un armistice et de lui laisser le temps d’envoyer un courrier à Versailles. « Pendant ce temps, ajoutait-il, tout restera en panne. — Non, dit le maréchal, M. le grand-duc ne consentira pas à suspendre le siège, tout au plus à laisser passer un courrier. En attendant, défendez-vous comme vous pourrez, nous attaquerons comme nous pourrons. » Et, quelques heures après, il faisait savoir que le grand-duc se refusait même au passage du courrier[1].

En venant rendre compte de son entrevue au maréchal de

  1. L’entrevue de Belle-Isle et de Königseck est rapportée tout au long par le maréchal de Belle-Isle lui-même, dans une dépêche adressée par lui à Amelot le 31 août 1742 et qui fait partie de la correspondance d’Allemagne.