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satisfaits qu’alarmés de voir l’armée de Maillebois s’éloigner de leurs frontières, et n’ayant nulle envie de la retenir, hésitèrent à se mettre en campagne. Puis de nouveaux retards furent causés, à Vienne même, par l’incertitude qu’on éprouvait sur la direction que se proposait de suivre la nouvelle armée française. Tendrait-elle en droiture vers la ville investie ? ou bien, prenant pour la délivrer un moyen indirect, pousserait-elle une pointe hardie vers l’Autriche à travers la Bavière, afin de rappeler le grand-duc à la défense de ses propres foyers ? L’hésitation était permise, car l’une et l’autre opération étaient possibles, chacune ayant ses inconvéniens et ses avantages ; et si Marie-Thérèse (ce qui est croyable) avait encore des émissaires bien informés à Francfort, elle devait savoir que l’empereur plaidait chaleureusement pour celui des deux procédés qui le remettrait le plus tôt en possession de son patrimoine envahi et couvrirait, comme disait le comte de Saxe, saite chaire Baviaire. Il offrait même en ce cas de prendre personnellement la direction des deux armées, offre qui ne pouvait tenter personne, Maillebois et Saxe moins que tout autre, mais qui, comme il disposait lui-même d’une petite armée, bavaroise et impériale, pouvait faire balancer quelque temps entre les deux partis. La question ne parut tout à fait résolue que lorsque Khevenhüller fit savoir que le comte de Saxe, se mettant en mouvement avec sa résolution et sa fougue accoutumées, quittait les bords du Danube et remontait vers la Bohême. Il fut clair alors que c’était à Prague que se rendait l’armée de secours ; alors seulement aussi, la diversion anglaise se faisant toujours attendre, la reine dut songer sérieusement à se mettre en défense. Khevenhüller reçut l’ordre de suivre le mouvement du comte de Saxe et le grand-duc de se joindre à lui pour faire tête aux deux corps d’armée française qui allaient se réunir. On ne dut laisser devant Prague que huit ou dix mille hommes de cavalerie hongroise ou croate pour empêcher, ou du moins gêner le ravitaillement de la place.

Ce ne fut pas sans un vif regret cependant et après une longue délibération que la reine se décida à abandonner, ou du moins à ajourner l’espoir d’emporter d’assaut la capitale d’un des royaumes qu’elle avait perdus, et de prendre toute une armée française d’un coup de filet. À cette contrariété se joignait le chagrin, tout aussi sensible pour elle, de retarder le retour et d’exposer à de nouveaux combats la vie du grand-duc, qu’elle s’était déjà flattée de voir revenir en triomphe. « Mon cher vieux (alter), lui écrivait-elle en lui envoyant ses dernières instructions, voilà donc une lettre que, je crains, ne vous plaira point ; mais vous verrez que je vous ouvre mon cœur et nos sentimens… Je sais ce que cela me coûte et ça m’éloigne