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l’espèce humaine ; » — enfin, comme conclusion dernière, l’éclectisme, ou méthode d’impartialité, qui d’abord, dans la conscience, recueille et accepte tous les faits en les réunissant sous un principe unique, et qui ensuite, transportée dans l’histoire, accepte tous les systèmes en tant que chacun d’eux est l’expression d’un des points de vue légitimes de l’esprit humain ; en un mot, une doctrine « éclairant l’histoire de la philosophie par un système et démontrant ce système par l’histoire de la philosophie. »

Telle est la célèbre préface de 1826 ; et si on peut lui reprocher d’être trop vague, de trop rester sur les hauteurs, de manquer de développemens concrets et de suffisantes analyses, on ne peut nier qu’il n’y eût là assez de pensées profondes pour défrayer bien des écoles. Nous en avons fini avec la première période du développement philosophique de Victor Cousin ; cette période est plus ou moins dominée et commandée par l’influence de Schelling. Nous allons voir maintenant, dans le cours de 1828, l’influence de Hegel se substituer à celle de Schelling ; c’est le moment de revenir avec quelque détail sur les relations qui ont uni pendant de longues années le philosophe allemand et le philosophe français, Hegel et Cousin.


II

Nous venons de dire que, de 1818 à 1826, Cousin paraît avoir subi l’influence de Schelling beaucoup plus que celle de Hegel : c’est là un fait qui parait étrange ; car il était avec celui-ci dans des relations bien plus intimes qu’avec celui-là. Le fait cependant n’est pas difficile à expliquer. Il est vrai qu’en 1817, dans son premier voyage d’Allemagne, Cousin n’avait pas vu Schelling ; mais il n’avait entendu parler que de lui. Lorsqu’il le vit en 18Ï8, Schelling, par son éloquence naturelle, par la facilité de sa parole, le subjugua facilement. Il décrit l’un et l’autre maître d’une manière vive et saisissante : « On ne peut pas moins se ressembler, dit-il, que le disciple et le maître. Hegel laisse à peine tomber quelques rares et profondes paroles quelque peu énigmatiques ; sa diction forte, mais embarrassée, son visage immobile, son front couvert de nuages, semblent l’image de la pensée qui se replie sur elle-même. Schelling est la pensée qui se développe ; son langage est, comme son regard, plein d’éclat et dévie ; il est naturellement éloquent. » Il est facile de comprendre qu’en présence d’une nature aussi semblable à la sienne, enthousiaste et expansive, Cousin ait été sous le charme. Hegel lui imposait par sa profondeur ; mais il ne le comprenait pas bien, et causait rarement avec lui de métaphysique ; tout l’intérêt de leurs conversations portait sur l’art, sur l’histoire, sur la politique. Enfin,