Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/635

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouve que partir de la nature humaine, c’est subjectiver la philosophie, il faut renoncer à toute ontologie : car il est impossible de partir d’autre chose que de la nature humaine ; » — le passage de la psychologie à l’ontologie, au moyen des principes absolus de la raison (principe de cause, principe de substance), qui nous forcent à dépasser l’enceinte du moi. Quelquefois cependant, comme dans l’Argument du Premier Alcibiade, Cousin allait plus loin et affirmait que la conscience, en pénétrant jusqu’au fond d’elle-même y trouve la substance et l’absolu[1] ; — la théorie des trois classes de faits, les faits sensibles, les faits intellectuels et les faits volontaires ; — toutes les idées réduites à deux catégories, celle de la substance et de la cause ; et surtout la doctrine de l’aperception pure ou de l’objectivité des données de la raison fondée sur son usage immédiat et spontané ; — la doctrine de la liberté absolue, que nous avons déjà rencontrée dans nos leçons inédites ; il s’y ajoutait ici quelques traits nouveaux. La liberté est l’idéal du moi ; le moi doit y tendre sans cesse sans y atteindre jamais ; il en participe, mais il n’est point elle ; en fait d’activité, la substance ne peut se trouver qu’en dehors et au-dessus de toute activité phénoménale, dans la puissance non encore passée à l’action, dans l’indéterminé capable de se déterminer par soi-même, dans la liberté dégagée de ses formes ; » — la doctrine de l’unité consubstantielle de l’homme, de la nature et de Dieu ; doctrine condensée dans une phrase célèbre, qu’il faut lire dans la première édition : « Le Dieu de la conscience n’est pas un Dieu abstrait, un roi solitaire… c’est un Dieu à la fois vrai et réel, substance et cause, infini et fini tout ensemble, triple enfin, c’est-à-dire à la fois Dieu, nature et humanité. En effet, si Dieu n’est pas tout, il n’est rien ; » — la doctrine remarquable d’une réconciliation de la philosophie et du sens commun, non pas dans le sens banal et un peu vulgaire de Reid, mais dans le sens poétique et profond de Vico et de Schelling : « L’humanité en masse est spontanée et non réfléchie ; l’humanité est inspirée ; le souffle divin qui est en elle lui révèle toujours et partout toutes les vérités sous une forme ou sous une autre ; l’âme de l’humanité est une âme poétique qui découvre en elle-même les secrets des êtres en des chants prophétiques qui retentissent d’âge en âge. A côté de l’humanité est la philosophie qui l’écoute avec attention, recueille ses paroles ; .. la philosophie est l’aristocratie de

  1. « N’est-ce pas un fait, est-il dit dans cet Argument, que sous le jeu de nos facultés, et pour ainsi dire à travers la conscience claire et distincte de notre énergie personnelle, est la conscience sourde et confuse d’une force qui n’est pas la nôtre, mais à laquelle la nôtre est attachée ? .. Cette force antérieure, postérieure et supérieure à celle de l’homme, ne descend pas à des actes particuliers et, par conséquent, ne tombe ni dans le temps ni dans l’espace,.. cause invisible et absolue, substance, existence, liberté pure, Dieu. » Santa-Rosa, dans ses Lettres à Cousin, se refusait à cette doctrine et disait qu’il ne trouvait pas cette substance dans la conscience.