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connue depuis fort longtemps ; mais le principe colorant de la garance, l’alizarine, fut isolé pour la première fois et analysé par Robiquet et Colin. Laurent, le célèbre collaborateur de Gehrardt, reprit l’étude de cette substance et en donna l’analyse exacte.

Mais Laurent se trompa quand il voulut donner aussi la théorie de la formation de ce corps. Il en faisait un dérivé de la naphtaline. Aussitôt divers savans essayèrent, au moyen de ce carbure, d’opérer la synthèse de l’alizarine. Strecker, Wolff, Gerhardt lui-même, furent égarés dans leurs recherches par l’erreur de Laurent. Enfin M. Schützenberger, le savant professeur, du Collège de France, réussit à préparer le dérivé de la naphtaline qui devait, suivant Laurent, être identique à l’alizarine : les deux corps ne se ressemblaient en rien.

C’est alors que MM. Graebe et Liebermann recommencèrent toute cette étude ; ils firent l’analyse de l’alizarine, mais non pas cette analyse élémentaire par laquelle nous apprenons qu’un corps organique contient tant d’hydrogène, tant d’oxygène et tant de carbone, sans rien connaître de sa constitution. La véritable analyse ne sépare pas du premier coup les derniers élémens d’un composé. Elle ne brise pas brutalement la machine et ne cherche pas à la mettre en miettes : elle la démonte pièce à pièce afin d’en pénétrer les secrets et permet ensuite à l’ouvrier de rétablir et de combiner de nouveau tous les rouages. Ainsi l’analyse appelée immédiate, apprend au chimiste, avant de lui fournir les quantités réciproques des corps simples, la nature des composés qui se sont unis pour former une molécule plus complexe.

Telle fut l’analyse entreprise par MM. Graebe et Liebermann. Le résultat ne se fit point attendre : ils eurent la bonne fortune de tirer de l’alizarine un carbure d’hydrogène, et le carbure n’était point la naphtaline, comme l’avait cru Laurent : ce n’était même pas la paranaphtaline, étudiée par Dumas ; c’était un carbure très voisin des précédens, par sa composition et ses propriétés, l’anthracène[1]. Dès lors le problème était à demi résolu : MM. Graebe et Liebermann annoncèrent bientôt qu’ils avaient réussi à préparer l’alizarine artificielle. Sans décrire tous les procédés de laboratoire ou d’atelier qui furent brevetés peu de temps après la découverte, nous devons dire comment on fabrique ordinairement aujourd’hui le rouge garance.

  1. Nous proposons, disent MM. Girard et de Laire (Traité des dérivés de la houille, etc., p. 80), de désigner exclusivement sous le nom d’anthracène le carbure décrit par Anderson, Fritzsche, Limpricht, Berthelot, Graebe et Liebermann, et de réserver celui de paranaphtaline au carbure signalé par Dumas et Laurent en 1832. Ce dernier, probablement, n’est que le premier homologue du carbure C14 H10 (formule de l’anthracène). Il convient de lui conserver, jusqu’à preuve du contraire, la formule C15 H12, qui lui a été attribuée à l’origine.