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de pouvoir, ne cessait de harceler Carteret, en lui reprochant de ne pas faire plus que celui qu’il avait remplacé et, après s’être fait voter d’importans subsides, de n’employer l’or anglais qu’à enrichir et à défendre le Hanovre. Pour faire justice de ces attaques, qui pouvaient menacer même sa couronne, George II prit le parti d’aller lui-même sur le continent se mettre à la tête de ses troupes pour les conduire en Allemagne.

L’armée placée sous ses ordres devait être composée de plus de cinquante mille hommes, soit dix mille Anglais, six mille Hessois à la solde de l’Angleterre, seize mille Hanovriens et vingt mille Flamands levés par l’Autriche dans les Pays-Bas. On lui donna le nom d’armée pragmatique pour bien indiquer qu’elle venait prêter force au droit et non porter atteinte à l’indépendance germanique ; on espérait qu’elle serait grossie par des contingens hollandais, la plus importante des Provinces-Unies, celle qu’on appelait la Hollande proprement dite, s’étant déjà prononcée pour une action immédiate. Sous la direction suprême du roi, lord Stairs, l’impitoyable ennemi de la France, lut placé à la tête des divisions anglaises et auxiliaires, tandis que l’autrichienne était confiée au duc d’Aremberg. Le plan de campagne consistait à entrer en Allemagne par le Palatinat, en franchissant le Mein, puis à se diriger sur la Bavière pour tendre la main à Lobkowitz et au prince de Lorraine, qui, venant, l’un de Bohême, l’autre d’Autriche, prendraient ainsi dans un cercle de feux croisés l’armée française, encore campée sur le Danube.

Naturellement, quand ces dispositions furent connues ou devinées à Versailles, le gouvernement français dut songer à y faire promptement obstacle. Le maréchal de Noailles proposa au conseil, dont il faisait partie, d’aller lui-même, à la tête d’une armée formée de recrues nouvelles et des débris de celle de Bohême, disputer aux Anglais le passage du Mein et l’entrée du territoire germanique. La résolution, bientôt connue, fut accueillie partout avec un entrain et une confiance qu’on ne connaissait plus depuis nos derniers malheurs. Un nouveau général à suivre, un nouvel ennemi à combattre, un nouveau champ de bataille, il n’en fallait pas davantage pour secouer l’abattement et ranimer l’esprit militaire de toute une jeune noblesse d’autant plus pressée d’aller guerroyer sur le Rhin qu’elle échappait ainsi à la crainte d’aller languir en Allemagne. C’était le tour de Noailles d’être un héros pour quelques jours.


Duc DE BROGLIE.