qui réclamaient la suppression de la théodicée. On l’a vu par l’amendement de M. de Ségur-Lamoignon, presque adopté par la chambre des pairs, et qui réduisait la philosophie à la logique, à la morale et à quelques élémens de psychologie. L’auteur de cet amendement, en le développant, disait expressément qu’il s’agissait de retrancher « les hautes questions de métaphysique comprises dans la théodicée qui traite des attributs de Dieu, » A la vérité, il n’osait pas dire expressément que l’existence de Dieu serait écartée des cours ; mais cela résultait évidemment de la suppression de la théodicée. Étrange revirement des temps et des tactiques politiques ! le parti qui proteste aujourd’hui contre la loi athée était alors celui qui voulait retrancher l’idée de Dieu du programme universitaire et prétendait imposer à l’état un enseignement athée !
Il est très vrai qu’à partir de 1842, Victor Cousin fut obligé, par la polémique du clergé, de faire ressortir de plus en plus le caractère spiritualiste de l’enseignement universitaire. Pour donner plus de garanties aux croyances religieuses, il dressa une liste d’auteurs classiques en philosophie, qui devaient servir de modèles, et, en même temps, de limites à l’enseignement. Mais cette liste était-elle si exclusive et si illibérale ? Non, sans doute ; car, à côté des cartésiens (et Malebranche déjà n’est pas un penseur si timoré), on y voyait figurer Bacon, Locke, Condillac, Ferguson, Charles Bonnet. Si Kant n’y figurait pas, ce n’était pas par suspicion de doctrine (car nous eûmes à l’étudier, en 1848, dans notre concours pour l’agrégation des facultés) ; mais on le trouvait alors trop difficile pour les élèves, car on peut appliquer à la philosophie ce que Sainte-Beuve disait un jour de la littérature : « Depuis ce temps-là, ô Taine ! vous nous avez appris à digérer des pierres ! » Nous en dirions volontiers autant à tel philosophe de nos jours. Ce fut pour répondre à ce catalogue d’auteurs officiellement désignés que les jeunes maîtres d’alors : Jules Simon, Emile Saisset, Amédée Jacques, publièrent l’utile et populaire collection Charpentier, qui comprenait les principaux de ces philosophes. Ici encore nous ferons remarquer que cette entreprise fut conçue dans un esprit si peu sectaire que ce fut dans cette collection que parut la première traduction française de Spinoza, par Emile Saisset, traduction que Cousin offrit lui-même à l’Académie des sciences morales. Ainsi, cette école officielle est précisément celle qui, la première, a fait connaître et popularisé en France la philosophie de Spinoza.
Cependant, quand un mouvement est donné, il ne s’arrête pas. Victor Cousin avait été contraint par la polémique religieuse à interpréter, à retirer peu à peu, et enfin à refondre tout entière sa philosophie première. Ce travail, que nous aurons à étudier en détail