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tirer de cette anecdote, est-il bon de faire prendre à nos enfans, dès les premières études, le chemin de cette patrie supérieure ? N’est-il pas à craindre qu’elle fasse tort à l’autre, à la vraie ? La vieille université,. celle des Cousin, des Guizot et des Villemain, était à cet égard d’une extrême prudence ; elle ne livrait l’enfant aux mathématiques qu’après avoir semé dans son esprit le germe de toutes les vertus qui forment non-seulement l’honnête homme, mais le citoyen. Plaise à Dieu qu’avec ses prétentions scientifiques, ses tendances matérialistes, son impuissance à comprendre ce qui fait « l’âme de l’éducation, » suivant le mot éloquent de Michelet, la nouvelle pédagogie nous prépare d’aussi fortes générations ! Elle s’en flatte, et nous voulons bien croire à sa bonne foi. Elle est convaincue, nous l’admettons, qu’en élargissant, comme elle l’a fait, le domaine des sciences, elle n’a causé qu’un très mince dommage aux lettres. « Je les enseigne moins longtemps, prétend-elle, mais je les enseigne mieux. Il fallait autrefois huit ans pour faire un bon latiniste, j’atteins le même résultat par des procédés plus rapides et grâce à la supériorité de mes méthodes. » Telle est, en très peu de mots, la thèse moderne, celle qui a rallié la majorité du conseil supérieur et qui nous a valu les nouveaux programmes. Examinons-la donc en quelques détails et voyons, puisque nouveauté il y a, ce qu’il en faut penser.


III

Avant la réforme de 1880 et de temps immémorial, les cours de langues anciennes dans nos collèges consistaient : 1° en exercices de grammaire ; 2° en récitations ; 3° en explications d’auteurs ; 4° en devoirs écrits, thèmes, versions, vers latins, narrations et discours. On menait de front ces divers exercices, en les graduant suivant l’âge des enfans. Ainsi, dans les classes élémentaires, c’étaient les études grammaticales, le thème et les récitations qui prenaient le plus de temps. Dans les classes supérieures, au contraire, c’étaient l’explication des auteurs et les devoirs écrits, vers latins, narrations et discours, qui jouaient le rôle le plus important. On pensait, non sans raison, qu’il fallait s’adresser d’abord à la mémoire et la cultiver avec soin pendant qu’elle était encore dans toute sa fraîcheur, et l’on ne faisait appel à l’imagination des enfans, on ne leur demandait d’efforts personnels de composition et d’invention, qu’après leur avoir meublé la tête d’un grand nombre de mots, de règles, d’exemples, et de tournures. Cette méthode n’était peut-être pas très logique, on pouvait lui reprocher d’abuser des procédés mécaniques et de ne